La chute d’El-Fasher, capitale du Darfour du Nord, aux mains des Forces de soutien rapide (FSR), marque un tournant dramatique dans la guerre qui ravage le Soudan depuis deux ans et demi. Les témoignages évoquent des massacres de civils, des viols collectifs et des destructions massives. Sur fond d’effondrement de l’État, la communauté internationale reste paralysée, incapable d’enrayer une tragédie qui rappelle les pires heures du Darfour.
Massacres et chaos après la chute d’El-Fasher
Depuis le 23 octobre dernier, la ville d’El-Fasher vit un cauchemar. Après plusieurs jours de combats acharnés, les milices des Forces de soutien rapide (FSR) ont pris le contrôle de la capitale du Darfour du Nord. Dans les jours qui ont suivi, les récits d’horreur se sont multipliés. Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme parle de « massacres massifs de civils et de combattants désarmés », tandis que des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent des exécutions sommaires et des maisons incendiées.
Selon plusieurs témoins, plusieurs centaines d’hommes, majoritairement issus de l’ethnie zaghawa, auraient été exécutés sans procès. Des femmes réfugiées à Tawila, à 70 km de là, racontent des viols collectifs et des enlèvements. Le Bureau de l’ONU évoque aussi des attaques contre des humanitaires et des médecins, certains tués ou portés disparus.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a condamné le massacre de plus de 460 patients et accompagnants dans l’hôpital saoudien d’El-Fasher, le seul encore en service. Les FSR affirment avoir arrêté l’un de leurs commandants, Abou Loulou, accusé d’exactions, mais beaucoup y voient un simple geste de communication. Pendant ce temps, la ville reste coupée du monde, sans nourriture ni soins. Le choléra et la faim progressent, aggravés par la destruction des infrastructures et le siège imposé depuis des mois.
Une guerre qui déchire le Soudan
Ce drame s’inscrit dans une guerre déclenchée en avril 2023 entre l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane et les FSR dirigées par Mohamed Hamdan Dagalo, dit “Hemedti”, un ancien chamelier devenu général. Depuis, le conflit a fait des dizaines de milliers de mort et près de 13 millions de déplacés, selon l’ONU.
La chute d’El-Fasher est stratégique : elle donne aux FSR le contrôle quasi total du Darfour et de ses routes commerciales. Mais elle symbolise aussi la faillite politique du Soudan. Le pays est aujourd’hui morcelé : le Darfour sous domination paramilitaire, le Nord sous contrôle de l’armée, et l’Est plongé dans le chaos.
Les FSR, issues des anciennes milices janjawids accusées de nettoyage ethnique dans les années 2000, semblent rejouer les mêmes violences, cette fois contre les communautés non arabes. « Ce qui s’est passé à El-Fasher ressemble à Geneina », note l’expert Alex de Waal dans Le Point, en référence à une autre ville du Darfour où entre 10 000 et 15 000 personnes, principalement issues de la communauté massalit, ont été tuées par les paramilitaires du général « Hemetti » Ce dernier, accusé d’être soutenu par une partie des Émirats arabes unis, s’impose désormais comme le véritable maître de l’ouest soudanais. Il contrôle les mines d’or et les routes de contrebande, tandis que le gouvernement officiel, replié à Port-Soudan, ne détient plus qu’un pouvoir symbolique. Pour beaucoup d’observateurs, l’idée même d’un Soudan unifié s’effondre.

Un monde impuissant face à la tragédie
Les réactions internationales restent timides. L’ONU parle de possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et la Cour pénale internationale a ouvert une enquête. Plusieurs sénateurs américains demandent que les FSR soient classées comme groupe terroriste. Mais, sur le terrain, les violences continuent sans relâche.
Les Émirats arabes unis, souvent accusés de financer les FSR, démentent fermement et affirment soutenir les efforts de paix de la coalition diplomatique du Quad. L’Union africaine, elle, se contente d’exprimer sa « préoccupation ». À Rome, le pape Léon XIV a dénoncé les « souffrances inacceptables » des civils et appelé à des couloirs humanitaires. La présidente du Comité international de la Croix-Rouge parle d’une situation « pire à chaque cycle de combats ». Sur le terrain, les convois de l’ONU restent bloqués à la frontière tchadienne, et des milliers de familles survivent sans eau, ni abri, ni médicaments.
Vingt ans après les premiers massacres du Darfour, l’histoire semble se répéter.