S’expatrier en Arabie saoudite, et plus particulièrement à Riyad, évoque souvent dans l’imaginaire collectif des restrictions, un mode de vie contraint et une société rigide. Pourtant, le témoignage de quatre Français installés dans la capitale saoudienne bouscule ces idées reçues. Il nous révèle une réalité bien plus nuancée et humaine. Mohamed, Driss, Morgane et Salma partagent leurs expériences, entre émerveillement face à un pays en mutation, et défis liés à l’adaptation culturelle.
Riyad, une capitale en pleine métamorphose
Depuis le lancement de la Vision 2030, vaste plan de réformes piloté par le prince héritier Mohammed Ben Salmane, Riyad s’est transformée en un véritable carrefour d’innovations et d’événements culturels. Salma, business manager, âgée de 30 ans, raconte avec enthousiasme qu’« en seulement deux ans », elle a vu « ce pays se métamorphoser ». De la Riyadh Season au Grand Prix de Formule 1, les occasions de découvrir des « facettes inédites de la culture saoudienne » ne manquent pas.
Morgane, professeur de danse de 28 ans, abonde dans ce sens, notant que les réformes touchent également la vie quotidienne : « Aujourd’hui, presque tous les lieux sont mixtes, les femmes peuvent conduire et travailler dans différents secteurs ». Une dynamique confirmée par Driss, acheteur régional, âgé de 29 ans, qui évoque une Arabie pacifiée « sans police religieuse » où le divertissement occupe désormais une place centrale.
Ces changements, à l’initiative des hautes sphères de l’État, semblent largement acceptés et parfois même impulsés par une jeunesse avide de modernité. Une idée affirmée par Mohamed, responsable commercial de 23 ans, qui confie à Contrepoint que c’est avant tout « la jeune génération saoudienne qui est demandeuse d’évolution ». Avec un âge moyen d’environ 31 ans en 2023, l’Arabie saoudite s’appuie sur la demande de cette nouvelle génération pour accompagner son ouverture. Par ailleurs, Morgane pense « que ces réformes sont nécessaires », si le pays souhaite « attirer des touristes et des expatriés ».
« Soit on adore la culture saoudienne, soit on la déteste »
Bien que l’ouverture du pays facilite l’installation, l’adaptation culturelle quant à elle, reste une étape délicate. Au début, les différences peuvent constituer un véritable choc. « Soit on adore la culture saoudienne, soit on la déteste », avertit Mohamed. La place prépondérante de la religion, le rythme de vie nocturne imposé par la chaleur, ou encore des normes sociales parfois éloignées des standards occidentaux, demandent un réel effort d’ajustement.
Pour la jeune danseuse, c’est surtout l’aspect vestimentaire et les codes sociaux qui ont nécessité une adaptation. « En tant que femme, j’ai dû revoir ma garde-robe et privilégier des vêtements amples aux teintes plus sombres », déclare Morgane. Elle évoque aussi une ville pensée pour la voiture, où marcher reste une rareté, particulièrement à cause du climat désertique.
Riyad, à l’instar de nombreuses grandes agglomérations américaines, a été conçue pour faciliter la circulation des véhicules plutôt que des piétons. Son organisation repose sur une logique fonctionnelle, engendrant une rupture avec les standards européens. L’urbanisme est ainsi marqué par de larges avenues et des routes espacées, créant une ville quadrillée, où les distances entre les différents quartiers peuvent rendre la marche presque impossible. Cela accentue la dépendance à des modes de transport motorisés, notamment dans un pays où l’utilisation de chauffeurs privés est monnaie courante.
Effectivement, dans de nombreux aspects de la vie, les Saoudiens font appel à des aides extérieures, dont des chauffeurs, mais pas seulement. Morgane explique qu’il est possible, « à toute heure du jour et de la nuit », de solliciter des services tels que la livraison de repas, la gestion des courses ou même le nettoyage de la voiture. Driss partage son observation et ajoute à ce constat « les nourrices » qui apportent un soutien dans « l’éducation des enfants ». Au départ, être confrontés à une « société assistée » n’était pas évident pour ces jeunes français. Toutefois, Driss a rapidement relativisé, expliquant que ces tâches « constituent avant tout une source de revenu pour ces travailleurs ». Contrairement à la France, où de nombreux petits métiers ont disparu au fil des années — comme les pompistes qui ont été remplacés par le libre-service dans les stations-service en 2009 — l’Arabie Saoudite maintient encore des emplois de soutien. Avec un pouvoir d’achat élevé et une forte demande de services personnalisés, le pays permet à des milliers de travailleurs de maintenir ces fonctions de service.
Une qualité de vie insoupçonnée
Malgré les défis culturels, tous s’accordent sur un point : la qualité de vie à Riyad est bien meilleure que ne le laisse supposer la couverture médiatique française. Driss regrette que l’image de l’Arabie saoudite reste majoritairement négative : « On ne parle jamais des avancées, alors que le pays change à une vitesse impressionnante ». Morgane ajoute que les réformes, bien qu’encore inégalement appliquées, témoignent d’une volonté réelle de s’ouvrir tout en préservant les traditions locales. Par ailleurs, cette ouverture ne change en rien le sentiment de sécurité des habitants, bien au contraire. « Ici, les policiers s’ennuient », plaisante Driss, qui compare la tranquillité de Riyad à l’insécurité parfois palpable en France.
Mohamed, pour sa part, insiste sur l’efficacité administrative et la digitalisation poussée des services publics. « Tout est simplifié : de la recherche d’appartement aux démarches administratives », explique-t-il, citant l’ouverture d’un compte bancaire, la souscription à une assurance ou encore l’accès à un logement comme exemples concrets. Un avis partagé par Salma. Ces processus, souvent fastidieux ailleurs, se font ici en « quelques clics grâce à des plateformes numériques performantes », avance le cadet du groupe.
Ainsi, le rythme de vie à Riyad contraste fortement avec celui de la France. Moins stressant et davantage axé sur le « bien-être et la liberté », comme l’explique Mohamed, il reflète une approche différente du travail, qui n’est pas perçu comme la priorité absolue. Ce dernier note qu’il est courant de privilégier des moments de détente en famille ou entre amis, un luxe souvent négligé dans le quotidien effréné des Français. (A suivre)
À quel prix humain cette « métamorphose » est-elle rendue possible ?
Malgré les réformes amorcées dans le cadre de la Vision 2030, le système de kafala continue de soulever des critiques pour la dépendance qu’il impose aux travailleurs étrangers. Des ONG dont Amnesty International dénoncent de nombreux abus la rétention de passeports, le dépassement des horaires légaux de travail sans compensation, le non-paiement des salaires ou des conditions de vie précaires pour les immigrés. Ces travailleurs représentaient environ 76% de la main-d’œuvre dans le secteur privé saoudien en 2022.
Si des avancées existent pour moderniser la société saoudienne et améliorer le droit des femmes, de nombreux défis restent à relever pour garantir une meilleure protection, particulièrement envers les travailleurs étrangers.