Au cours de l’année 2023, l’ONU dénombrait 8 400 personnes tuées, blessées ou enlevées en Haïti.
Dans le pays le plus pauvre des Amériques, les gangs armés font la loi depuis l’assassinat du président Jovenel Moise en 2021. Samedi 23 mars, les fraichement nommés membres du Conseil Présidentiel de Transition, chargés d’apporter une solution à la crise politique, se réunissaient pour la première fois.
Pendant le week-end, les esprits se sont échauffés entre les neuf membres du Conseil Politique de Transition(CPT). Les représentants des différentes factions politiques, de la société civile et de la sphère religieuse haïtienne sont chargés de nommer une personne par intérimaire à la tête du pays, avant d’organiser au plus vite des élections légitimes. Les dernières élections présidentielles dans le pays remontent à 2016.
Dans ce pays des Caraïbes, la situation humanitaire est alarmante. Déjà fortement exposée aux aléas naturels, la population haïtienne a été frappée de plein fouet par la crise sanitaire du Covid-19. En juillet 2021, près de la moitié des habitants de l’île étaient en situation d’insécurité alimentaire aiguë selon l’organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies.
Une situation aggravée par l’instabilité politique qui touche le pays depuis plusieurs années. Dans la nuit du 07 juillet 2021, le président Jovenel Moïse est retrouvé assassiné à son domicile. Le 02 mars dernier, le pénitencier national et la prison de la Croix-des-Bouquets sont pris d’assaut par deux des gangs les plus influents de Port-au-Prince. Regroupés sous la bannière “Viv Ansanm“ (Vivre Ensemble), les agresseurs réclament la démission du Premier ministre Ariel Henry, alors à la tête du pays.
3 600 détenus sont lâchés dans la capitale et l’état d’urgence est déclaré dans le département Ouest du pays. Parmi les évadés, certains chefs de gangs puissants ainsi que des mercenaires impliqués dans le meurtre de l’ancien président.
Après la fermeture de l’aéroport international Toussaint-Louverture, pris entre deux feux lors d’un affrontement entre bandes armées, Ariel Henry n’a pas pu retourner sur le territoire haïtien. Il effectuait, depuis le 29 février, un voyage diplomatique au Kenya pour négocier les termes de l’envoi de 1 000 policiers en Haïti, dans le cadre d’une mission supervisée par l’ONU.
Lundi 11 mars, le Premier ministre annonçait sa démission et la mise en place du conseil de transition présidentiel, dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux depuis Porto-Rico.
« Dieu bénisse Haïti »
Investi à la tête du pays en juillet 2021, la démission du Premier ministre était appelée des vœux d’une majorité de la population haïtienne depuis que Jovenel Moïse l’avait désigné comme son bras droit, deux jours avant son assassinat. Presque trois ans plus tard, le bilan est mitigé :
Depuis sa prise de pouvoir, Ariel Henry n’a ni organisé des élections présidentielles légitimes pour le remplacer, ni démissionné le 7 février 2024, comme convenu lors de sa prise de pouvoir. Selon Jean Marie Théodat, enseignant à la Sorbonne et à l’Université d’État d’Haïti, récemment prise pour cible par les gangs : « Les bandits sont repassés à l’attaque pour combler un vide que l’incompétence du Premier ministre a rendu encore plus béant ».
Au premier rang des détracteurs d’Ariel Henry et de son gouvernement, on retrouve en effet les gangs haïtiens.
Lors d’une interview donnée à la presse au début du mois, Jimmy Chérizier, leader du G9, l’un des groupes armés les plus influents de Port-au-Prince déclarait ceci : « Nous allons combattre Ariel Henry jusqu’à la dernière goutte de sang, S’il ne se retire pas, le pays va droit vers un génocide ».
« Soit Haïti devient un paradis pour nous tous, soit un enfer pour nous tous »
Avec 60% de la population sous le seuil de la pauvreté et 4,9 millions de personnes souffrant de “faim aigue“, les chefs des gangs, qui contrôlent actuellement 80% de la capitale, se présentent comme les sauveurs des citoyens haïtiens, jouant un rôle de protection que les pouvoirs publics se sont montrés incapables d’assurer pleinement.
« Je ne suis pas un voleur, je mène juste un combat social pour réclamer une vie meilleure pour tous les gens à travers le monde. » déclarait Jimmy Chérizier devant les caméras au début du mois.
L’ancien membre de la police haïtienne est pourtant impliqué aux yeux de la justice internationale dans le massacre de La Saline. Le 13 novembre 2018, les cadavres de 73 habitants de ce quartier, connu pour être le point de départ de nombreuses manifestations contre le pouvoir en Haïti, comme ce fut le cas deux jours plus tôt, sont retrouvés. L’identification par les forces de l’ordre prend du temps ; certains corps sont mutilés, d’autres décapités ou encore carbonisés. Deux membres de l’administration Jovenel Moïse, Joseph Pierre Richard Duplan et le ministre de l’Intérieur Fednel Monchery sont suspectés d’avoir été à l’origine de ce massacre, organisé sur place par Jimmy Chérizier, désormais surnommé “Barbecue“.
A Grand-Ravine, l’un des quartiers les plus pauvres de Port-au-Prince, Ti Lapli, le chef du gang local, a fait démarrer en 2022, la construction d’un hôpital, un chantier financé par l’industrie du kidnapping.
« Si on connait des gens qui ont beaucoup d’argent, on leur demande de partager. » se justifiait-il dans un reportage publié sur la chaine YouTube Immersion reportages et documentaires en mai 2023. Mais les gangs ne ciblent pas seulement les plus aisés. En 2023, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme dénombrait 2 951 personnes enlevées à travers le pays, la plupart des victimes ayant été recensées dans la capitale, désormais surnommée “Kidnapping City“.
Dimanche, Dominique Dupuy, représentante de la coalition “EDE/RED/Compromis historique“ au sein du conseil présidentiel de transition a déclaré sa démission, à la suite de menaces de mort proférées contre sa famille. Le conseil, désormais exclusivement masculin, s’est réuni lundi avec les représentants de la Communauté Caribéenne (CARICOM). Des désaccords sont apparus sur la personnalité à désigner à la tête du futur organe dirigeant d’Haïti, a indiqué l’un de ses membres à l’AFP.