Ce lundi 27 janvier, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a publié une nouvelle enquête effectuée cet été à Calais. Il préconise l’ouverture de nouvelles voies légales pour la traversée de la Manche. Pour Damien Carême, député européen et ancien maire de Grande-Synthe pendant 18 ans, cette enquête n’est que le reflet d’une « politique migratoire européenne catastrophique. » Contrepoint lui a posé quelques questions.
Quelle est votre réaction face aux conclusions de cette étude ?
Damien Carême – Que d’argent public dépensé pour rien ! Ça montre que la multiplication des moyens de lutte contre la migration n’a rien empêché du tout. Elle n’a pas empêché les passages, les morts et ne résoudra rien. On a une obstination des pouvoirs publics à ne pas organiser l’accueil sur ce littoral (jusqu’à Cherbourg). Certes, les choses ont évolué depuis la jungle de Calais. Avant, tout le monde était présent dans la ville et essayait de passer un jour ou l’autre. Aujourd’hui, il y a moins de personnes présentes sur place. Les exilés restent souvent à Paris et sont prévenus qu’il va y avoir un départ vers la Grande-Bretagne le soir. Ils prennent un train au dernier moment, arrivent à Calais et dans les embarcations. Donc c’est organisé différemment, mais ça ne résout rien derrière. Ces personnes vivent dans des grands camps sans accès à l’eau, à la nourriture, à l’hygiène, aux droits. Et ils vivent dans la persécution permanente des services des forces de l’ordre.
Selon vous, la réponse de l’État n’est que répressive ? Quelles alternatives proposez-vous pour gérer la situation à Calais ?
DC – La réponse de l’État n’est que répressive, et ça fait très longtemps. Pourtant, il suffirait de mettre des petits centres d’accueil le long de la frontière. Ça évitera d’avoir des lieux avec des centaines de personnes entassées. Ce qui est toujours plus compliqué pour l’insertion, pour le suivi, etc. Lorsque j’étais maire de Grande-Synthe en 2015, au moment où de nombreux Syriens arrivaient, aucune solution n’était mise en place. On leur demandait pourquoi ils ne faisaient pas de demande d’asile en France, et ils nous répondaient : « Regardez dans quelles conditions nous vivons. Cela ne donne pas envie de demander l’asile dans un pays qui nous accueille ainsi. » Dès qu’on a réalisé avec Médecins sans Frontières un lieu d’accueil, beaucoup d’entre eux se sont sentis accueillis. Peut-être qu’en les mettant dans des structures pendant leur séjour ici, les réfugiés demanderaient l’asile en France plutôt qu’en Grande-Bretagne. C’est comme ça qu’on lutterait efficacement contre les passeurs. Or là, aujourd’hui, l’arsenal mis en place est inutile. Les forces de l’ordre du Nord nous disaient que c’est impossible à surveiller. Il faudrait mettre un gendarme tous les dix mètres le long des 300 kilomètres du littoral 24h/24.
Justement, le rapport prévoit le développement de voies légales pour rejoindre la Grande-Bretagne. Que pensez-vous de leurs conclusions ?
DC – Je réagis très bien aux voies légales. Dans un sens comme dans l’autre : pour partir de France comme pour arriver en Europe. On voit bien que ces réfugiés viennent quand même de pays en guerre (Soudan, Erythrée…), et que ça ne les intéresse pas de rester en France ou ailleurs. Ils veulent aller en Grande-Bretagne pour des raisons de langue, de facilité à l’accès à l’emploi, d’accueil des migrants, etc. Ils ne viennent pas profiter du système de santé ou profiter de quoi que ce soit chez nous. Ils veulent simplement rejoindre de la famille ou aller dans un pays dont ils connaissent la langue. Donc l’étude est intéressante pour ça. En plus, ce n’est pas une ONG, ce n’est pas un groupe politique de gauche : ce sont les Nations Unies qui en arrivent à cette conclusion.
En tant que député européen, comment jugez-vous aujourd’hui la politique migratoire de l’Union européenne ?
DC – La politique européenne en matière migratoire, et notamment l’adoption du dernier pacte asile-migration en avril 2024, est une catastrophe. C’est un recul en matière de droits fondamentaux des droits humains. Aujourd’hui, la nouvelle politique de l’Europe, c’est de payer des barbelés, des murs. Alors qu’il y a deux ans, la présidente de la Commission européenne jurait ses grands dieux que jamais l’Europe ne s’en procurerait. Donc on revient 30, 50, 70 ans en arrière. Aussi, l’Europe se rétrécit dans le sens où même le code frontières Schengen a changé. Maintenant les États membres pourront, sous un prétexte futile, remettre des frontières à l’intérieur de l’Union européenne pour deux ans.
Comment la France se place-t-elle dans cette politique migratoire ?
La France n’a rien à recevoir de l’Europe. Elle a beaucoup participé au pacte asile-migration. C’était elle qui tenait pratiquement le stylo de la négociation. À l’époque, Darmanin (ex-ministre de l’Intérieur) était à toutes les réunions, il influençait énormément sur ce débat qui concernait quelques dizaines de milliers d’exilés qui arrivent sur le territoire européen. Ce qui est une goutte d’eau par rapport à la population européenne d’un côté, mais aussi aux huit millions d’Ukrainiens qu’on a réussi à accueillir en quelques mois, en leur donnant tout de suite un accès à l’emploi, au logement, à la santé. C’est un problème de racisme d’État. C’est parce que ces réfugiés sont basanés et musulmans qu’on en est là. Je ne vois pas d’autre explication. D’ailleurs, les propos de Retailleau dernièrement confirment complètement ça (NDLR « Ce sont des musulmans, ils sont noirs. », avait lâché Bruno Retailleau le 6 février sur LCI).
De nombreuses associations et collectivités sont présentes à Calais pour améliorer la condition de vie des réfugiés. Certaines perçoivent des aides de l’État, d’autres non. Trouvez-vous qu’elles sont assez soutenues par l’Union européenne ? Par la France ?
DC – Non. Je l’ai vécu en tant que maire, on n’a pas touché un rond de l’Union européenne sur les 4 millions qu’on avait investis pour construire le camp. Il y a des fonds européens, le fond asile, migration et intégration (AMIF), de quelques millions d’euros. On a fait en sorte que 5 % de ce fonds aille directement aux collectivités ou que ça transite par les États. Mais j’imagine qu’Utopia 56, par exemple, ne recevra pas d’aide de l’État pour le travail qu’ils font. Mais encore une fois, ce n’est pas à Utopia 56 ou à d’autres de faire ce travail, c’est à l’État.
Depuis 2016, quelles évolutions avez-vous constaté sur le littoral ?
DC – Dans la région, ça n’a pas évolué, ça s’est dégradé. À l’époque quand j’étais maire, on arrivait quand même à ce que le département prenne en charge les mineurs isolés. Mais aujourd’hui, le conseil départemental perd ses compétences, et peu de communes se portent volontaires pour accueillir. Tout le monde emboîte le pas de l’extrême droite. Personne ne combat sur les valeurs de solidarité ou de partage. Même les élus socialistes, sur le littoral par exemple, n’ont aucune politique volontariste en matière de droits humains. Et quand je vois un leader de parti de gauche parler aujourd’hui d’identité nationale en disant que ce n’est pas un sujet tabou (NDLR « Le débat sur l’identité nationale n’est pas tabou », a jugé Olivier Faure), ça pue… Il y a des discours, parfois des propos, mais il n’y a pas d’actes. Et ce sont les villes qui pâtissent de la situation car c’est dans leurs rues qu’il y a des gens qui dorment dehors.
Doit-on craindre une radicalisation à droite des gouvernants sur les questions migratoires ?
DC – Les gouvernants vont continuer dans cette direction mais pas les citoyens. On n’a pas une France qui refuse l’accueil. On a des gouvernements successifs qui disent la migration, c’est un problème. Mais j’ai vu des dizaines de milliers de français favorables à l’accueil des migrants manifester partout en France. Ils étaient bien plus nombreux que les fachos qui manifestent l’inverse. J’ai rencontré aussi énormément de citoyens qui accueillent chez eux, qui hébergent, qui accompagnent. Donc j’ai plus confiance dans la population que dans ces gouvernants.
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