Est-ce Élisabeth Borne, ou l’illusionniste Houdini, à la tête du ministère de l’Éducation nationale depuis le 23 décembre dernier ? À grands coups de baguette magique, celle qui avouait pourtant lors de la passation de pouvoir ne pas être « spécialiste » en matière d’éducation a lifté le programme d’éducation à la vie sexuelle en vue d’une instauration dans les écoles, collèges et lycées dès la rentrée scolaire 2025.
Séverine enseigne l’anglais au lycée depuis plus de vingt ans (classes de terminale) dans l’Aisne, en Picardie. Dubitative, elle livre une appréciation nuancée sur l’élaboration du programme et en éclaire les potentielles conditions réelles d’application au sein de classes, souvent bondées d’élèves. La professeure rassemble également dans son témoignage les craintes des parents et du corps enseignant vis-à-vis de ce dispositif imminent.
Que pensez-vous de l’instauration prochaine du programme au lycée ?
SÉVERINE : En soit, l’idée initiale et directrice, qui est celle d’inviter les élèves à réfléchir et dialoguer autour de questions sexuelles à l’école, apparaît positive. Je me questionne cependant : que se cache-t-il derrière les lignes de ce programme encore flou, et quels seront les angles abordés en classe ? Des professionnels et spécialistes de l’enfant, tels que des psychologues ou psychiatres, n’ont pas participé à sa mise en œuvre. C’est pourquoi j’appréhende une codification et normalisation de certains points relatifs à la sexualité qui méritent nuance et prudence. Je ne suis maintenant plus étonnée que le ministère de l’Éducation présente ses motivations comme valorisation de causes justes, alors qu’il s’agit plutôt de prétextes hypocrites. C’est le nouveau lapin tout droit sorti du chapeau de l’Éducation nationale. Cette mesure tombera probablement à l’eau dans les mois à venir.
Partagez-vous un avis similaire dans votre rôle de parent ?
S : Mère de deux enfants, dont un adolescent en seconde, j’exprime le besoin d’être tenue informée du contenu de chaque séance obligatoire, avec la mise à disposition en amont d’une synthèse des thèmes abordés à l’attention des parents d’élèves. Pour autant, je ne nie pas que ces sessions pourraient avoir la portée d’approfondir la discussion sur certains sujets en famille.
La reproduction sexuelle, au programme scolaire de SVT en classe de quatrième au collège, génère généralement sensation de gêne et ricanements auprès des élèves. Pensez-vous qu’il en sera également ainsi concernant les sessions d’éducation sexuelle à la rentrée ?
S : Je dirais que cela dépend principalement de la maturité du groupe-classe. Mais avec un sujet aussi sensible que la sexualité, introduit à des élèves en plein boum hormonal, c’est plutôt malvenu. Le déroulement des séances joue avec un rapport humain difficilement maîtrisable, qui engage de multiples variables (élèves dissipés, inattentifs, bavards, …). Je doute qu’un intervenant extérieur réussisse à capter l’attention et le sérieux des élèves, à les apprivoiser en somme. Qui plus est, les effectifs des classes aujourd’hui, d’environ trente-cinq élèves, ne favorisent pas l’aisance de s’exprimer à l’oral : elle est étouffée. Je préfère l’idée de leur offrir la liberté de se rendre en des points de permanence aménagés au sein des écoles, collèges et lycées. Ils pourraient ainsi s’exprimer seuls-à-seuls avec leur interlocuteur, en toute confidentialité, sans risquer de susciter le regard inquisiteur de ses camarades. Je vois ce concept comme une parade pour contrer un enseignement de masse codifié.
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