Alors que la France attend toujours la composition du nouveau gouvernement, plusieurs jours après la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon, l’incertitude gagne les territoires ultramarins. Budget, réformes institutionnelles, gestion post-crise : les dossiers sensibles s’accumulent. Or, en l’absence d’un ministre des Outre-mer ou de nouvelles orientations gouvernementales, élus et habitants craignent un enlisement.
Sébastien Lecornu n’est pas un inconnu des outre-mer. Ex-locataire de la rue Oudinot, il est nommé ministre des Outre-mer entre 2020 et 2022, sous le gouvernement Castex. Durant sa nomination, il avait alors hérité de dossiers brûlants : la crise sociale aux Antilles, la pandémie de Covid, la loi de programmation pour Mayotte, ou encore le troisième référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie qu’il avait maintenu malgré la demande de report des indépendantistes en pleine pandémie.
Un choix lourd de conséquences, qui lui vaut encore aujourd’hui une réputation controversée en Nouvelle-Calédonie. Celui d’un ministre perçu comme trop proche des loyalistes.
Nouvelle-Calédonie : un processus suspendu
La Nouvelle-Calédonie est l’un des dossiers prioritaires pour Matignon. En juillet, dix jours de négociation à Bougival (Yvelines) ont abouti à un projet d’accord sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, sous l’égide de Manuel Valls ministre démissionnaire des Outre-mer. Un accord qualifié « d’historique » signé par l’État et les forces politiques calédoniennes. Toutefois il a été rejeté en bloc par les indépendantistes du Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS). « Le mouvement indépendantiste rejette formellement le projet d’accord de Bougival, en raison de son incompatibilité avec les fondements et acquis de notre lutte », a déclaré Dominique Fochi, secrétaire général de l’Union calédonienne et membre du bureau politique du FLNKS.
Cet accord prévoit la création d’un État calédonien au sein de la République française, l’instauration d’une double nationalité, un élargissement du corps électoral, un transfert progressif de certaines compétences régaliennes comme la justice, la diplomatie la monnaie. Un référendum est prévu en février 2026 pour entériner ou non l’accord de Bougival. Mais pour cela, il faut d’abord que le Parlement avance et pour l’heure, il est à l’arrêt. Il devait être débattu en novembre au Sénat, puis en décembre à l’Assemblée nationale, avant un possible vote du Congrès à Versailles en fin d’année.
Le 15 septembre, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a voté, à 39 voix contre 13, en faveur du report des élections provinciales au plus tard au 28 juin 2026. Or, ce report doit être validé par une loi. « Le Sénat a suspendu ses travaux dans l’attente d’un nouveau gouvernement, comme la Constitution le permet, explique Nicolas Font, maître de conférences en droit public à l’université de la Nouvelle-Calédonie au micro de Nouvelle-Calédonie 1ère. Il est très peu probable que cette loi soit examinée tant que la situation reste gelée.»
Budget des outre-mer : les élus ultramarins inquiets
Parmi les priorités bloquées par l’absence de gouvernement : le budget des outre-mer. L’ancien Premier ministre, François Bayrou, avait évoqué une coupe budgétaire de 800 millions d’euros par an dans les dispositifs de soutien aux économies ultramarines.
Une annonce qui a fait bondir les parlementaires. En Guyane, le député du Parti de gauche démocrate et républicaine, Jean-Victor Castor s’alarme : « Nous dépendons à 90 % de la commande publique. Tout le tissu économique s’effondre. J’ai eu le préfet récemment, qui m’a lui-même alerté sur l’effet domino que cela aura sur les chantiers en cours. La Guyane est en crise. » Même son de cloche en Martinique, pour la députée du Parti socialistes Béatrice Bellay : « On va toucher des territoires qui sont déjà en difficulté. C’est invraisemblable. Ce seront des lignes rouges pour nous, si c’est ce que porte le prochain gouvernement. »
Mayotte : regards braqués sur Matignon
Dans le 101e département français, les attentes sont tout aussi fortes et parfois teintées d’amertume. En 2022, alors ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu avait porté une ambitieuse loi-programme pour le territoire. Composée de 34 articles, elle visait un développement accéléré de Mayotte, avec un volet sur l’immigration. Mais plusieurs propositions essentielles, comme la suppression des titres de séjours territorialisés (un visa propre à Mayotte, dont la validité de circulation et limité à l’île car il interdit aux détenteurs de circuler dans les autres départements français) n’ont pas été prises en compte. Résultat : le 1e janvier 2022, le conseil départemental de Mayotte avait rejeté la loi à l’unanimité. Toutefois, l’Assemblée nationale a entériné, mardi 24 juin 2025, la fin du visa territorialisé à Mayotte à l’horizon 2030.
Le Premier ministre est attendu au tournant, notamment sur la promesse des 4 milliards d’euros sur six ans pour la reconstruction de Mayotte, après le passage dévastateur du cyclone Chido en décembre 2024. Ces engagements sont inscrits dans la loi de refondation adoptée le 1er juillet dernier, mais là encore leur mise en œuvre dépend d’un gouvernement en état de marche.
Manuel Valls de retour aux Outre-mer ?
Reste une dernière interrogation : Manuel Valls, ministre démissionnaire des Outre-mer, sera-t-il reconduit au gouvernement ? Il était à la charge d’un dossier majeur pour les territoires ultramarins : celui de la lutte contre la vie chère. Un problème récurrent dans les Outre-mer, à l’origine de vives protestations. Selon l’INSEE (enquête de 2022) l’écart global de prix entre la Guadeloupe et l’Hexagone est de 16%, 14% pour la Martinique et la Guyane, 10% pour Mayotte et 9% pour la Réunion. Les raisons de cet écart sont nombreuses : octroi de mer, éloignement, monopole ou encore le coût des matières premières.
Un sujet que le Premier ministre Sébastien Lecronu juge toujours prioritaire. « Ce texte a énormément de valeur », déclarait-il, selon Outre-mer La 1ère. Un chantier qu’il avait lui-même initié lorsqu’il était ministre des Outre-mer, mais qu’il n’avait pas pu mener à terme. Il justifie ce raté en évoquant la pandémie : « Le Covid, à l’époque, m’a empêché de porter ces questions économiques et sociales. » Tandis que plusieurs élus ultramarins ont jugés qu’il avait fait preuve de mépris lorsqu’il avait la charge de ce dossier.