Cela fait deux ans que la guerre civile entre les forces fédérales et les rebelles de la région du Tigré déchire l’Éthiopie. Ce conflit, très peu couvert par les médias occidentaux, en partie à cause des difficultés du terrain, implique de nombreux acteurs internationaux et interroge sur ses conséquences humanitaires et géopolitiques. Décryptage.
2018 : des tensions socio-politiques et des manifestations secouent l’Éthiopie. Le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) est alors au pouvoir. Ce parti, qui a renversé le régime militaire en Éthiopie en 1991 et était derrière de nombreux développements dans le pays, est critiqué pour son statut de dictature et pour son non-respect des droits de l’homme. Par ailleurs, la majorité de la coalition au sein de ce parti appartient à l’ethnie tigréenne. Celle-ci ne constitue que 7% de la population éthiopienne, mais détient plus de pouvoir que les autres groupes ethniques, en fonction desquels sont divisées les régions de cet État fédéral.
Éventuellement, les mouvements sociaux poussent l’ancien Premier ministre du pays, Haile Mariam Dessalegn, à démissionner. Le FDRPE le remplace avec Abiy Ahmed Ali. À son arrivée au pouvoir, ce dernier se présente comme un leader qui va introduire des réformes libérales et unifier le peuple éthiopien. En effet, il réussit à mener de multiples changements démocratiques au sein du pays et même à mettre fin à 20 ans d’hostilités entre l’Érythrée et l’Éthiopie. Un exploit pour lequel il remporte le prix Nobel de la paix 2019. L’Éthiopie semble enfin entrer dans une période paisible et prospère.
Mais en 2019, Abiy Ahmed essaie de réformer le FDRPE en une seule structure centralisée. Auparavant, il était composé de quatre partis politiques, implantés dans les régions des ethnies qu’ils représentaient : les Oromos, les Amharas, les Tigréens et les peuples du Sud. Abiy Ahmed nomme cette nouvelle structure le Parti de la prospérité. Tous les membres de la coalition rejoignent volontiers le nouveau groupement. Seule le Front de Libération du peuple du Tigré (FLPT) refuse l’intégration et la centralisation du pouvoir dans la capitale, Addis-Abeba.
Les tensions grandissent entre le Parti de prospérité et le FLPT. Ce dernier accuse Abiy Ahmed de marginaliser les Tigréens. En 2020, le FLPT, maintenant un opposant du parti majoritaire, mène des élections régionales, malgré le report des législatives par le Parti de prospérité à cause de la crise sanitaire.
Le Tigré est alors en sécession et Abiy Ahmed coupe les fonds dédiés à la région.
Le 4 novembre 2020 le conflit éclate, lorsque le FLPT mène une attaque contre les Forces de défense nationale éthiopiennes à Mekele, la capitale de la région.
Une guerre d’ethnies
La guerre a divisé le pays. Il faut savoir que les tensions ethniques ont été présentes en Éthiopie depuis son Moyen-Âge, lorsque l’Islam et le Christianisme divisaient le pays. La minorité tigréenne, mais aussi les Omoros, qui constituent un pourcentage important de la population éthiopienne, ont été marginalisés par les Amhara avant l’ascension au pouvoir du FDRPE.
Le conflit actuel vise les mêmes groupes ethniques. La minorité tigréenne, située au nord, est alliée aux Oromos. Les Amharas, quant à eux, se sont joints aux Forces de défense nationale éthiopiennes, dirigées par Abiy Ahmed.
Ce dernier est aussi appuyé par les forces érythréennes, un fait qu’il a essayé de cacher pendant longtemps. Cette alliance était une des causes du conflit entre la capitale et le Tigré, car, située à la frontière entre les deux pays, la région a été au cœur des tensions lors de la guerre de 1998 – 2002.
En 2021, le conflit a atteint les dimensions d’une guerre civile. Les coupures de connexion ont rendu le travail des médias et des ONG difficile dans le pays.
Des rares investigations qui ont pu être menées par l’ONU ont montré que les Forces nationales massacrent les civils dans les régions rebelles. Des tortures, des violences sexuelles et des tueries sont elles aussi très courantes. Il s’agit d’un véritable nettoyage ethnique des Tigréens. Par ailleurs, la famine atteint plusieurs régions à ce jour et des milliers d’innocents ont péri.
Le conflit a mené à une importante migration intérieure, ainsi que la fuite des Tigréens vers le Soudan. Et ses conséquences atteignent les pays autour.
La question de l’Afrique et des puissances étrangères
L’instabilité en Éthiopie a basculé son statut informel de pays-médiateur en Afrique, qui lui a été attribué avec le respect pour sa très courte colonisation. Les États-Unis étaient alliés au FDRP et avaient même nommé l’Éthiopie l’accompagnateur du Soudan lors de sa transition démocratique.
Le pays est aussi un acteur important dans les négociations sur la construction et le remplissage du Grand Barrage de la Renaissance dans l’État, qui devait fournir de l’eau douce à l’Éthiopie et à ses voisins. Or, la guerre a rendu impossible les pourparlers déjà tendus. La situation a été davantage empirée par le refus des USA de financer le projet d’un côté et par les accusations des crimes de guerre commis par les Forces nationales éthiopiennes de l’autre. Cela a mis fin à l’AGOA, un important accord commercial entre les États-Unis et l’Éthiopie.
Des sanctions ont été proposées par l’ordre international au Conseil de Sécurité des Nations Unies, mais celles-ci ont été bloqués par la Russie et, notamment, par la Chine, qui a insisté sur son approche anti-interventionniste.
La République populaire semble elle aussi avoir ses intérêts en Éthiopie. Pour le pays africain, elle constitue « le plan B » dans le financement du barrage d’eau, qui remplacerait l’argent américain.
Le rapprochement de Abiy Ahmed avec la Chine continuerait l’actuel « guerre d’influence » en Afrique, menée par les grandes puissances mondiales. Mais pourrait-il mettre fin aux violences contre les Tigréens et, éventuellement, à la guerre ? La réponse n’est pas si évidente. Pour l’instant, l’Éthiopie et les pays autour souffrent du conflit dont la fin ne semble pas approcher.