Dans le contexte actuel, après l’attaque du Hamas en Israël, beaucoup de confusions se font entre l’antisémitisme et l’antisionisme. Si la plupart des gens savent ce qu’est l’antisémitisme, très peu d’entre eux pourraient définir l’antisionisme. Nous avons donc interrogé Denis Charbit, professeur de science politique à l’Open University d’Israël et spécialiste du sionisme, afin qu’il nous éclaire sur le sujet.
L’antisémitisme : une doctrine très ancienne
L’antisémitisme est une vieille doctrine, tandis que l’antisionisme est une doctrine plus récente. Malgré la distinction formelle entre les deux termes, on s’interroge sur le lien susceptible de les réunir.
L’antisémitisme est le fait de haïr les juifs pour des raisons qui ont évolué dans l’Histoire, de les rendre responsables et coupables de tous les maux de la terre.
Dans l’antisémitisme chrétien, l’antisémitisme reposait sur le supposé déicide qui aurait été effectué par les juifs sur le Christ, et dont la responsabilité est reportée sur leurs descendants.
L’antisémitisme du XIXème siècle se constitue sur un critère biologique (on trouve les juifs inférieurs et malfaisants, on veut s’en débarrasser) ou social (l’extrême-gauche pensait que si Rothschild était juif, tous les juifs étaient des Rothschild ; ils domineraient le monde et l’argent).
L’antisémitisme nazi repose sur les deux critères, et culmine avec l’extermination des juifs, la Shoah. Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, l’antisémitisme n’a pas disparu après 1945 : les préjugés sur les juifs perdurent.
La grande différence entre l’antisémitisme d’hier et d’aujourd’hui, c’est que, de nos jours, ils sont plus rares ceux qui se déclarent ouvertement antisémites. A l’époque, on le proclamait fièrement. L’antisémitisme est un délit en France depuis 1972.
Différencier l’antisémitisme de l’antisionisme
Après la Seconde Guerre mondiale, l’antisémitisme n’est plus considéré comme une doctrine admissible après la Shoah.
L’antisionisme repose sur la détestation d’Israël ; il consiste à condamner sans nuance le projet de rassembler des juifs sur la terre d’Israël dans le but de venir y fonder un Etat.
Les Soviétiques sont les premiers à faire de l’antisionisme, reprenant à leur compte les caractéristiques de l’antisémitisme. Lors des procès de Prague, on arrête des juifs en les dénonçant comme des bourgeois, des agents de la CIA, des faux patriotes, et… des sionistes pour eux.
Avant 1948, l’antisionisme est une controverse essentiellement théorique, car Israël n’existe pas encore. Mais après 1948, date de la création de l’Etat d’Israël, l’antisionisme monte un cran au-dessus car il doit signifier dès lors non pas la critique de l’Etat d’Israël, mais la mise en cause de son existence ou de sa légitimité. Or, vouloir la disparition d’Israël signifie être contre près de huit millions de juifs (sur 16 millions dans le monde), sans compter la majeure partie des juifs qui ne sont pas en Israël, et dont près de 80% excluent qu’Israël puisse disparaître.
Pour vérifier si un antisioniste n’est pas antisémite, je propose le test suivant : lui demander s’il y a une chose qu’il trouve bien en Israël. Si rien ne trouve grâce à ses yeux, c’est qu’on se situe déjà du côté de l’irrationnel.
L’antisionisme se définit par rapport aux actions menées par Israël. Mais lorsque l’on parle d’un autre conflit, que l’on condamne le plus sévèrement du monde l’une des deux parties, on ne remet nullement en cause son existence malgré ses crimes : qui penserait que la Russie devrait disparaître à cause de l’agression contre l’Ukraine ? Israël colonise-t-elle la Cisjordanie ? Israël doit disparaitre. C’est dans ce cas que l’on est en droit de souligner une convergence entre antisémitisme et antisionisme.
« Pour vérifier si un antisioniste n’est pas antisémite, je propose le test suivant : lui demander s’il y a une chose qu’il trouve bien en Israël. Si rien ne trouve grâce à ses yeux, c’est qu’on se situe déjà du côté de l’irrationnel. En général, on aime d’un pays et de ses habitants certaines choses et puis d’autres choses nous répugnent. Si l’on est incapable de mentionner quelque chose de bien d’un pays, il faut se poser des questions sur le rapport à ce pays. Dans le cas d’Israël, cela s’appelle de l’antisémitisme, car celui-ci consiste à détester tout de ce que font les juifs. »
Être très critique, même injustement, envers Israël n’équivaut pas à être antisioniste, et encore moins antisémite. « La plupart des personnes qui se disent antisionistes ne le sont pas en réalité. Pour eux, détester Netanyahou qui crée des colonies, c’est le fondement de l’antisionisme. A ce compte-là, une partie significative de la population israélienne serait donc antisioniste, alors qu’en réalité, elle ne l’est pas. »