Sous le soleil brûlant de Pobè, dans le sud-est du Bénin, la poussière rouge recouvre toutes les routes, les murs, les visages. C’est ici, au bout d’un chemin goudronné, que se dresse le centre de traitement anti-lèpre. Derrière ces murs modestes, des hommes et des femmes viennent chercher plus qu’un traitement : une seconde chance, un regard, une dignité retrouvée. Au Bénin, la lèpre n’a pas disparu. Elle se cache, silencieuse, derrière la peur et les préjugés.

« La maladie continue de se répandre en silence », alerte Oswald Attolou, directeur du centre de traitement de la lèpre et de l’ulcère de Buruli de Pobè. En 2024, son équipe a recensé quatorze nouveaux cas. En cette seule année 2025, dix-sept patients ont déjà été diagnostiqués. « On pensait en avoir fini avec la lèpre, mais elle revient. Pas massivement, mais assez pour nous rappeler qu’elle est toujours là. » Souvent, les premiers signes, de simples taches sur la peau, sont ignorés. « Les gens croient à un problème de peau, ou à un mauvais sort. Quand ils arrivent ici, c’est souvent trop tard : le visage, les mains, les pieds sont déjà atteints. »
La lèpre, une maladie qui isole autant qu’elle détruit
Au Bénin, la lèpre n’est pas qu’une maladie du corps. C’est une malédiction sociale. Les patients sont rejetés, parfois par leur propre famille. « Certains préfèrent se cacher plutôt que d’avouer qu’ils ont la lèpre. Ils savent qu’ils risquent d’être chassés de chez eux. » Il se souvient de Mariam, mère de deux enfants. « Elle avait commencé son traitement ici. Elle souriait souvent, elle disait qu’elle allait guérir. » Mais un matin, son lit était vide. Son mari l’avait emmenée. Pas à l’hôpital, mais chez un marabout, persuadé qu’elle était victime d’un envoûtement. « On a cherché partout, on a espéré. Quelques semaines plus tard, on a appris qu’elle était morte.» Sa voix se brise un instant. « Ce sont ces moments-là qui sont les plus durs. Parce qu’on sait qu’on aurait pu la sauver. »

Un autre souvenir le hante encore : celui de Nourou. « Il était arrivé tard, très tard. Son visage était déjà déformé, ses doigts rongés. Mais il gardait espoir. » Hospitalisé plusieurs mois, il pensait pouvoir rentrer chez lui. Jusqu’à ce que sa femme, venue le voir un matin, s’enfuit en apprenant le mot « lèpre ». Elle a disparu, laissant derrière elle cinq enfants. « Le choc a été terrible pour lui. Il s’est enfermé dans le silence, puis dans la folie. Aujourd’hui, il ne parle plus. »
À Pobè, soigner ne suffit pas : il faut reconstruire
Pourtant, des mains se tendent. Le centre de Pobè ne se contente pas de soigner : il reconstruit. « Quand ils sont guéris, on doit encore les aider à se relever », explique le directeur. L’équipe forme les anciens malades à de petits métiers, les aide à cultiver la terre, à retrouver une maison. « On leur construit un abri, on leur donne quelques outils. Certains deviennent couturiers, d’autres coiffeurs. C’est leur manière de retrouver leur place dans la société. »
Car même guéris, ils restent marqués. « Les gens continuent de les fuir. Il faut convaincre les chefs de village, les sages, pour qu’ils soient à nouveau acceptés.»
Changer les mentalités pour éradiquer la maladie
La lutte passe aussi par la sensibilisation, village après village. « Tant qu’on ne changera pas les mentalités, la lèpre continuera de se propager », insiste Attolou. Si les médicaments sont fournis gratuitement par l’OMS, les moyens humains et sociaux manquent. « Le vrai combat, c’est contre l’ignorance », dit-il simplement.