Le match France-Maroc de demi-finale de Coupe du monde a confronté une fois de plus certains binationaux à la dualité de leur identité : qui soutenir ? Une question qui fait écho à un vécu à la fois riche et particulier. Moustafa Fofana et Mouna Aïssa, étudiants binationaux en Sciences Politiques et en Histoire témoignent de leur expérience nuancée dans un contexte où la question de l’identité demeure clivante.
La binationalité au quotidien, c’est quoi ?
Mouna, Franco-Algérienne : « Je retrouve ma binationalité lorsque j’échange avec les “mono-nationaux”. Souvent, c’est dans les incompréhensions : les références ne sont pas les mêmes, les sous-entendus non plus. Généralement cela créé des conversations intéressantes et on apprend à mieux se connaître. Mais plus jeune, je percevais ma double culture plus négativement car je rencontrais des difficultés que mes camarades de classe ne vivaient pas. »
Moustafa, Franco-Guinéen : « Ma binationalité, c’est l’écart entre chez moi et le travail ou l’université. Je parle Diakhanke et mange avec les mains à la maison. Les différences entre le quartier et les études sont très marquées : il y a beaucoup plus de diversité dans les milieux dits populaires que dans les universités ou au travail. On ne socialise pas de la même manière à Roubaix et à Lille : les cultures sont différentes.»
Comment votre double culture affecte-t-elle vos rapports sociaux ?
Mouna : « L’une des difficultés avec la double-culture, c’est l’authenticité. Il y a des codes et des pratiques culturelles qui sont très mal perçues d’une part comme de l’autre. Trouver un compromis entre les deux c’est faire du “deux poids deux mesures”. Je pense que vivre deux cultures à la fois, même si c’est très enrichissant, ça reste assez compliqué.»
Moustafa : « Je m’applique à rester authentique avec mes collègues et ça amène souvent à des débats passionnés. J’estime que faire un effort d’adaptation reviendrait à avouer que je ne suis pas totalement Français. Je préfère être transparent dès le de départ, au risque d’être incompris ou rejeté. J’ai toujours réussi à me faire un groupe d’amis. L’intégration pour moi n’est pas un problème.»
Quelles ont été les expériences marquantes en lien avec votre binationalité ?
Mouna : « Lorsque je rencontre quelqu’un peu ouvert d’esprit, c’est comme s’il avait déjà décidé qui j’étais avant-même que l’on ait pu discuter. Dans ce cas, c’est aussi l’appartenance à la culture française qu’on a en commun qui est rejetée. Mais ma binationalité ne pose pas uniquement problème en France, elle pose souci dans un sens comme dans l’autre.
Quand je suis en Algérie, j’ai conscience que ma mentalité est différente. Certains m’accolent le stéréotype du Français individualiste. La barrière de la langue complique aussi les choses. À l’aéroport, le personnel suppose que je maitrise l’arabe mais je ne sais leur répondre qu’approximativement. Eux sont étonnés qu’une Algérienne ne parle que peu sa propre langue. Il y aussi là-bas une forme d’incompréhension et parfois de rejet de ma ‘francité’.»
Moustafa : « Pendant mon voyage en Guinée pour obtenir mon passeport, les gens étaient très étonnés qu’un Français tel que moi puisse voir un intérêt à obtenir la nationalité guinéenne, comme s’il n’y avait que peu de valeur à être d’un pays d’Afrique. Ça m’a beaucoup marqué.»
Quel est votre rapport à vos cultures respectives ?
Mouna : « La France c’est mon pays. Je me suis construit ici et je tiens mon ouverture d’esprit de mon éducation en France. À l’étranger, je suis Française avant tout. Paradoxalement, c’est en France que mes origines ressortent le plus. J’ai une attache familiale et culturelle à l’Algérie, j’aime la sensation de ressembler à la majorité, le fait de ne pas avoir à me justifier. Mais l’Algérie dans mon vécu c’est surtout les vacances avec la famille quand j’étais enfant.»
Moustafa : « J’ai un rapport assez pragmatique à mes identités, je les accepte pour ce qu’elles sont et avec les contradictions. Je sens que j’amène un point de vue alternatif et intéressant à ce qui se passe en France. Depuis le lycée, je suis curieux de l’Histoire et je n’hésitais pas à reprendre le professeur et à ouvrir le débat. Pour moi c’est un combat non pas pour l’intégration des minorités mais pour la reconnaissance de la diversité française.»