Preuve du succès de ce contre-modèle de consommation, les épiceries bio s’installent durablement dans nos villes. C’est le cas pour Lille et plus précisément la rue Léon-Gambetta. Ces commerces s’insèrent-il bien dans la grande rue commerçante ?
De la place de la République à la rue d’Esquermes, porte d’entrée du quartier Vauban-Esquermes, la rue Gambetta est l’une des plus importantes artères commerçantes de la capitale des Flandres. Au fur et à mesure que l’on se rapproche de la place de la Nouvelle Aventure, position du célèbre marché de Wazemmes, les façades de commerçants de bouche se multiplient. Bouchers, boulangers, primeurs, fromagers auxquels il faut ajouter depuis ces dernières années des nouveaux arrivants : les commerces dédiés au bio.
Le « petit dernier », Bonsigne, s’est installé en décembre 2020 à l’extrémité de la rue. Son principe ? « On est une épicerie qui remet au jour la consigne, le consommateur peut venir remplir à la tireuse sa bière, son vin, son kombucha dans des bouteilles consignées », nous dit Emmanuelle Froger, gérante de l’épicerie. Autre exemple, à seulement quelques mètres, Day by day : cette épicerie vrac a un peu plus de bouteille puisqu’elle se partage trois établissements dans la métropole. Celle de Wazemmes existe depuis 7 ans déjà. Ici, on vend des céréales, des fruits secs ou des biscuits sans emballage, il suffit de ramener son propre contenant et de se servir soi-même.
Un esprit observateur pourrait voir une potentielle conflictualité entre les commerces de bouches « traditionnels », établis parfois depuis des décennies voire des générations, et ces nouveaux venus qui pourraient apporter de la concurrence. À cela s’ajoute certains considérations sociologiques qui ternissent le tableau : en s’établissant dans des quartiers populaires, ces commerces bio qui n’attireraient que des « bobos » ne peuvent-ils pas accélérer la gentrification, autrement dit l’embourgeoisement, du quartier ?
Des commerçants « traditionnels » qui ne boudent pas la nouveauté…
Quand on demande leur avis aux commerçants environnants, on est loin de la guerre froide entre deux modèles économiques irréconciliables. André Fourchon de la Boucherie Charcuterie Normande, icône du quartier, est très clair : « Ça ne change rien pour nous, la quantité de viande que je vends n’a pas baissé ». Concernant le problème de gentrification il ajoute que, là aussi, « pour l’instant ce n’est pas significatif ». Le boucher-charcutier précise que la clientèle locale n’a pas forcément les même habitudes de vente auxquelles on pourrait s’attendre : « les gens font autrement ici, ils préfèrent aller directement chez les producteurs de bio ». Autre son de cloche au Pavé des Flandres, géré par le boulanger Pierre Thorez : l’installation de ces nouveaux types de commerces n’apporte que du plus au quartier. Il faut dire que la boulangerie-pâtisserie est justement « encerclée » par deux nouveaux commerces bio, O’Tera et Day by Day ce qui en fait la boulangerie attitrée des consommateurs de bio…
Avec le marché de Wazemmes tout proche et la population étudiante croissante, la rue Léon-Gambetta ne pouvait qu’être dynamique par nature. L’arrivée de ces épiceries écolo-friendly ne peut que plaire à la jeune population éprise de la consommation saine et de la défense de l’environnement. Les épiceries bio sont au final des commerces comme les autres : « Il y avait beaucoup de monde, surtout avant le confinement. Mais pendant, on a vu une grosse baisse de la fréquentation et du chiffre d’affaires. Depuis on connaît une forme de stagnation ou même de baisse. Donc il faut qu’on remonte la pente », déclare Hugo Cailleteau de Day by Day. L’invasion des vieux commerces franchouillards par les épiceries gentrifiées n’est pas pour demain…