En moyenne en France, six millions de Français soit 10% de la population consomment des antidépresseurs. Or, la sur-prescription peut être dangereuse. Après le suicide de leur enfant, des familles ont porté plainte.
Le combat des familles
Le mercredi 17 février 2021, les amis de Florian, 20 ans, ont prévu une virée à Monaco pour s’échapper de l’atmosphère pesante du Covid-19. Ce jour-là, l’étudiant en médecine à Nice n’en a pas l’énergie. Il se sent tellement mal qu’il tente à sept reprises d’avancer son rendez-vous avec sa psychiatre, sur Doctolib, sans succès. Le lendemain, ses parents, habitués à leur coup de fil quotidien, ne parviennent pas à le joindre. Inquiets, depuis Bastia , ils alertent les pompiers. Ces derniers retrouvent Florian pendu. Ils avaient pourtant prévu de passer le week-end en famille à la montagne. « Nous avons pris l’avion mais pour une tout autre raison », souffle son père, Gilles Mannoni. Le sac de Florian pour partir aux sports d’hiver était bouclé, comme s’il était paradoxalement prêt pour de nouvelles aventures. En plus de ses bagages, ses parents trouvent dans le logement niçois l’ordonnance d’un antidépresseur à base de paroxétine, alors qu’il n’avait aucun antécédent psychiatrique. Dix-neuf jours après le premier cachet de Deroxat, commercialisé par le laboratoire GSK, il se passait une corde autour du cou. Les parents Mannoni parcourent la notice de ce médicament : elle mentionne bien que la paroxétine, comme d’autres antidépresseurs, peut augmenter le risque de suicide chez les adolescents.
L’effet désinhibiteur
Les antidépresseurs agissent en régulant les neurotransmetteurs dans le cerveau, tels que la sérotonine, la noradrénaline et la dopamine. Lorsque ces neurotransmetteurs sont rééquilibrés, cela peut améliorer l’humeur et réduire les sentiments de dépression. Dans certains cas, une amélioration de l’humeur peut se traduire par une réduction de l’inhibition sociale ou émotionnelle. “L’antidépresseur a un effet boost, désinhibiteur, souligne le pédopsychiatre Thierry Delcourt. C’est-à-dire qu’il lève un blocage lié à l’angoisse qui a tendance à replier, à refermer. On lève ça, mais on n’a pas les moyens de réduire l’angoisse en même temps. Ça peut effectivement générer le passage à l’acte suicidaire, mais ça peut aussi amener à un passage à l’acte dirigé contre d’autres personnes.” Une personne sous antidépresseur peut, de fait, se trouver très mal lorsque l’effet censé améliorer l’humeur n’est pas au rendez-vous, et, en parallèle, avoir suffisamment d’énergie pour passer à l’acte.
Une consommation à la hausse chez les jeunes
Selon un rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, la consommation de psychotropes chez l’enfant et l’adolescent a augmenté de 48% entre 2014 et 2021 pour les antipsychotiques et de 62% pour les antidépresseurs. C’est un phénomène qui concerne des dizaines de milliers d’enfants. Or, on sait que les effets de ces médicaments sont plus importants sur des cerveaux encore en construction. Les antidépresseurs sont censés être réservés au cas les plus graves, pourtant l’Assurance maladie indique que “près de 13 % des consultations chez les médecins généralistes sont liées aux troubles dépressifs et anxieux”. Selon Céline Bonnaire, psychologue et professeure à l’Université Paris-Cité, “pour les médecins psychiatres et les généralistes, la réponse première, soufflée par le lobby pharmaceutique, c’est l’antidépresseur. La réponse médicamenteuse va beaucoup plus vite qu’un travail de psychothérapie”.
Les laboratoires dans le viseur de la justice
La plupart des antidépresseurs commercialisés aujourd’hui proviennent des laboratoires GSK. La firme est d’ailleurs consciente du risque de suicide que peut provoquer son médicament depuis longtemps. Une procédure judiciaire menée aux États-Unis l’a révélé. En 2012, GSK a payé une amende record de trois milliards de dollars pour avoir caché des données sur les dangers de son antidépresseur à base de paroxétine. Des scientifiques devenus lanceurs d’alerte ont révélé que GSK avait tenté de camoufler les risques en truquant ses données en ayant recours à du “ghostwriting”. Le laboratoire écrit lui-même une étude scientifique, puis la fait signer par des professeurs de renom. L’objectif étant d’inciter à la prescription. Cette façon de procéder permet à la firme de mettre en valeur son médicament en insistant sur ses bénéfices et beaucoup moins sur les risques.
Dès lors, les parents de Romain ont porté plainte contre les laboratoires pour éviter que l’histoire ne se répète.