Le 24 novembre 2022, l’Assemblée nationale s’accordait sur une proposition constitutionnelle d’un « droit à l’IVG ». Le 1er février dernier, les sénateurs ont reformulé ce droit en « une liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». Des spécialistes du droit constitutionnel nous précisent la différence juridique de ces deux formulations.
« C’est une décision audacieuse pour un Sénat particulièrement conservateur » reconnaît Anne-Andréa Vilerio, avocate au barreau de Paris. Il y a quelques mois, la Cour suprême des États-Unis renversait l’arrêt Roe v. Wade qui assurait l’accès légal à l’avortement. Une décision qui a convaincu Mathilde Panot, députée de La France Insoumise, à déposer un projet de loi visant à inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution française afin qu’il soit davantage protégé. Après de longues négociations, les députés de l’Assemblée nationale ont finalement voté la formulation suivante : « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». Envoyée au Sénat, la formulation a par la suite été modifiée par les élus. D’un droit à l’avortement, nous sommes passés à « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». Des modifications qui ne sont pas au goût de tous.
Le droit prime-t-il sur la liberté ?
Dorothée Reignier est professeure de droit constitutionnel à Sciences Po Lille. Elle explique que « la différence est, qu’à l’Assemblée, on a voulu créer un ‘droit à’ sous-entendant que l’État devenait débiteur de ce droit avec un ensemble d’obligations. Avec l’idée de liberté, on a moins le sentiment de l’existence d’une obligation de l’État ». Anne-Andréa Vilerio confirme qu’« une liberté a effectivement un caractère subjectif et ne suggère aucune obligation de la part de qui que ce soit pour l’organiser ». A contrario, « un droit implique le devoir de l’État de reconnaître ce droit et de garantir son exis- tence. En reconnaissant un droit à l’avortement, c’est plus intéressant pour les femmes puisqu’il s’agit de quelque chose que le droit doit organiser pour les femmes, une obligation de l’État. Cela suggère que les garanties autour du droit soient plus sécurisantes, plus organisées qu’autour d’une liberté. Le droit peut en effet primer sur une liberté ».
La France fait figure d’exception
Si cette décision ne satisfait pas tous les partis politiques, il est certain que la décision du Sénat est historique. Jamais un pays n’avait gravé l’accès à l’avortement dans sa Constitution. « À titre personnel, je préfèrerais que ce soit reconnu comme un droit », admet Anne-Andréa Vilerio, « mais ça reste historique. On ne s’attendait pas du tout à un tel compromis. Ce retournement de situation est davantage positif que négatif ».
Congrès ou référendum ?
La décision du Sénat va maintenant être de nouveau étudiée à l’Assemblée nationale. « Comme on est face à une révision de la Constitution proposée par des parlementaires, l’article 89 dit que cela ne peut être adoptée que par référendum », informe Dorothée Reignier, « mais ce n’est pas de la volonté des députés. Ça cristalliserait davantage les oppositions et ce n’est pas ce qui est voulu ici ». Une fois que les députés et les sénateurs se seront mis d’accord, le président de la République aura le dernier le mot. Il pourra opter pour un référendum ou un vote au Congrès.