Narendra Modi a inauguré la semaine dernière l’ouverture du troisième plus grand temple hindou au monde. Une manœuvre politique pour le Premier ministre Indien qui prône depuis dix ans la suprématie religieuse de l’hindouisme dans le pays.
Des dizaines de milliers d’indiens ont défilé dans les rues d’Ayodhya ce lundi a l’occasion de l’inauguration d’un temple consacré à la divinité hindou Rama.
« Le 22 janvier 2024 n’est pas seulement une date du calendrier mais l’avènement d’une nouvelle ère » a déclaré le Premier ministre Indien, Narendra Modi devant la foule en liesse. Son parti politique nationaliste le BJP étant désigné comme favori dans la plupart des provinces indiennes pour les élections législatives de mi-avril, son projet de faire de l’Inde une nation hindouiste en reléguant au second plan les croyances des 175 millions de musulmans pratiquants habitant dans le pays, semble avoir de beaux jours devant lui.
Bien que 80% de sa population soit de confession hindouiste (à peu près 1 milliard de personnes), l’Inde reste la 3ème plus grande nation musulmane au monde.
Depuis le XVI siècle, la ville d’Ayodhya cristallise les tensions entre les deux communautés.
En 1527, la mosquée de Babri est érigée en plein coeur de cette ville de l’Uttar Pradesh considérée comme le lieu de naissance du dieu Rama, septième avatar de Vishnou dans la religion Hindou. Certains intellectuels hindouistes estiment même que la mosquée fut construite sur les ruines d’un ancien temple dédié à la divinité, une légende selon les historiens si l’on se réfère à un article du Courrier International publié en 2019 sur le sujet.
Dès sa création en 1951, le Bharatiya Janata Party ou BJP décide de faire de cette question son fer de lance pour s’attirer les sympathies d’une base électorale majoritairement hindouiste.
Le parti martèle ainsi la suprématie de la religion hindouiste sur les autres croyances, ce qui pousse une foule d’extrémistes hindous à détruire la mosquée de Babri le 6 Décembre 1992.
En 2002, l’incendie du Sabarmati Express, un train transportant un groupe de pèlerins hindous dans la province du Gujarat avait été imputé par les autorités locales, sous la bannière du BJP, à des extrémistes musulmans. En réponse, des membres du mouvement fondamentaliste hindou avaient organisé plusieurs pogroms anti-musulmans, faisant environ 2 000 morts au sein de la communauté musulmane. La responsabilité du BJP dans ce drame a été mise en cause lors d’une enquête menée par la Cour Suprême Indienne. Le parti politique avait d’ailleurs capitalisé sur ces tensions religieuses et le fort ressentiment anti-musulman en Inde, pour remporter, six mois plus tard des élections anticipées dans la province du Gujarat.
17 ans plus tard, la Cour suprême indienne a rendu l’un de ses arrêts les plus controversés depuis l’arrivée de Narendra Modi et du BJP au pouvoir en 2014, avec lesquels elle est égulièrement accusée de collusion. Le 9 novembre 2019, les juges nommés par l’ancien président Ram Nath Kovind (BJP) rendent un verdict clair, la ville d’Ayodhya est une terre d’origine hindou et non musulmane.
La construction du temple de Rama ne sera achevée qu’en 2027 mais Narendra Modi a le sens du timing. Au pouvoir depuis dix ans, le Premier ministre attend avec impatience les prochaines élections législatives d’avril 2024. Il compte sur l’inauguration du temple, vue comme une victoire pour l’électorat hindou, pour lui permettre de conserver sa majorité au Parlement indien. Le mois dernier, son parti arrivait en tête dans trois des quatre Etats qui avaient participé à des élections régionales anticipées. Deux d’entre eux étaient jusqu’à lors dirigé par le parti du Congrès, de centre-gauche.
Alors que la laïcité comme composante fondamentale de la démocratie indienne est inscrite dans la constitution du pays, nombreux sont les intellectuels qui avertissent du danger de la politique d” « hindvuta » promulguée par le Premier ministre Modi. La visite d’Emmanuel Macron en Inde le 25 janvier dernier, à l’occasion du Jour de la République, envoie pourtant un signal fort à la communauté internationale. La France reste le pays le plus fréquemment invité à cette fête en l’honneur de l’indépendance de l’Inde acquise en 1950. C’est également la troisième fois qu’Emmanuel Macron se rend dans le pays depuis 2017.
Le président français a conclu sa visite vendredi soir par la visite du mausolée musulman du saint Nizamoud-din à New Delhi. Une visite qui s’est déroulée sans la présence de son homologue indien, qui ne s’y ait jamais rendu depuis son arrivée au pouvoir. De quoi donner aux deux hommes matière à disserter sur les concepts de démocratie, de laïcité…et de liberté de la presse, alors qu’une journaliste française est actuellement menacée d’expulsion du territoire indien pour reportages « malveillants » susceptibles de « troubler l’ordre public ».