Bruxelles, début avril. Le soleil se reflète sur les grandes fenêtres des institutions européennes. En contrebas, des silhouettes pressées s’activent entre les tours en verre. Les costumes sont cintrés, les talons claquent et les multiples accents résonnent : entrez au cœur du quartier européen de la capitale belge.
Certains l’appellent « la bulle européenne ». Une sorte de monde parallèle. À seulement 35 minutes de Lille, mais quasiment sur une autre planète, celle de l’Union européenne. Ce n’est pas tant l’architecture qui dépayse, mais plutôt le son des voix. La diversité des langues s’impose dans une ville officiellement francophone. La tour de Babel a trouvé son incarnation sur Terre, dans ce quartier où cohabitent 24 langues officielles. Et pour cause, Bruxelles est la ville la plus cosmopolite d’Europe et la deuxième du monde après Dubaï. Le quartier européen à l’est de la ville n’y est bien sûr pas pour rien. Vu du ciel un drôle de paquebot impressionne. La Commission européenne a la forme d’une croix. Son siège principal, le Berlaymont, accueille chaque jour 33 000 salariés. Quand on lève les yeux dans ce quartier, tout paraît démesuré. Les rues sont larges comme à New York, droites et quadrillées. Devant les façades en verre, les drapeaux européens dansent dans le vent.
Mais sous ses apparences froides, le quartier est constamment en mouvement. Le grand carrefour au pied de la Commission est en travaux « depuis deux ans », rechigne Jácint. « Le quartier est vraiment sympa, mais les travaux durent depuis trop longtemps », explique ce Hongrois tiré à quatre épingles. Pelleteuses, gilets orange, fumée de bitume : le décor se transforme, sans cesse. Entre deux passages piétons déstructurés, on slalome. Et au-dessus ? Des immeubles immenses, tels des murs en transparence, révèlent à l’intérieur des silhouettes concentrées à leur bureau. Dans la rue, le pas est rapide et les conversations murmurées. À la station de métro Schuman, la foule sort d’un seul mouvement. Une fourmilière. Ici, l’élégance est uniforme : costumes sombres pour les hommes, jupes droites et talons pour les femmes. Le quartier européen est une mécanique bien huilée. Chaque détail semble calibré : de l’architecture aux codes vestimentaires.

Une mondialisation jusque dans l’assiette
À midi, certains s’échappent vers quelques parcs du quartier. Le temps d’une pause au vert pour casser le gris du bitume. Dans les mains, ni gaufres, ni frites. Les spécialités belges sont introuvables ici. Pour déjeuner, les affamés aux badges bleus autour du cou se rendent dans des brasseries standardisées ou des restaurants aux spécialités des quatre coins du monde. « La majorité de nos clients parlent français », décrit le gérant de la brasserie Berlaymont. En face, le restaurant vegan a une toute autre clientèle. L’anglais prédomine, même chez les serveurs. « Il n’y a rien à manger ! », lance Thomas, jeune étudiant flamand, en job d’été à la Commission. « J’aimerais bien un fast-food ou deux », réplique son collègue. Lorsque les façades vitrées reflètent les derniers éclats du jour, tout s’apaise. Les bureaux se vident et les couloirs se taisent. Il ne reste plus qu’une chose : cette institution prête à affronter la même déferlante dès le lendemain.