En parallèle au mouvement de grève et à l’appel à manifester pour l’augmentation des salaires et la défense du droit de grève, le personnel des lycées professionnel s’est lui aussi mobilisé le 18 octobre. En cause, une réforme qui réduit la part de l’enseignement général au profit d’une immersion dans le milieu professionnel jugée précoce .
Ce jour-là, une centaine de professeurs de lycée professionnel se massent devant le rectorat de Lille, répondant à l’appel à manifester lancer par les syndicats (CGT, FO, FSU, CFDT, Solidaires, Action Démocratique, Snaic). Sur leurs banderoles, ont peut lire la crainte de voir une filière disparaître. Dans le discours prononcé par le responsable FSU, on entend leur peur pour leurs élèves. Une délégation de responsables syndicaux est reçu à 11 heure 30 au rectorat alors que le cortège s’élance vers la préfecture.
Plus de temps en entreprise
Tous s’opposent à la réforme du lycée professionnel esquissé par Emmanuel Macron le 13 septembre. Dans cette nouvelle mouture des filières pro, les élèves passeront moins de temps à suivre des enseignements généraux et plus de temps en entreprise. Les 22 semaines de stage réparties sur trois ans sont doublées, et les formations davantage ouvertes sur l’apprentissage qui doit se faire en un ou deux ans. Le but affiché est de faciliter l’insertion professionnelle des jeunes en les faisant plus vite entrer dans le vif du sujet. En 2010, une précédente réforme avait réduit la durée de la formation de quatre à trois ans
Une réforme au détriment des élèves
Pour les enseignants concernés, cette réforme se fait contre l’intérêt des élèves. Pour M. Bodard, professeur de maths et de sciences au lycée Sonia Delaunay, « les élèves sont trop jeunes, il ont entre 15 ans et le début de vingtaine, il ne sont pas assez matures pour intégrer une entreprise ». Les élèves ont déjà du mal à remplir leurs 22 semaines de stage en variant les structures, un apprentissage d’un à deux ans dans une seule structure semble donc compromis. Ceux-ci sont souvent perdus entre les projets transdisciplinaires, comme le Chef‑d’œuvre où l’élève doit mener un projet à bien sur deux ans. Ces projets menés par des enseignants de disciplines générales et professionnelles remplacent des heures propres à leurs matières : avec ses terminales, Julien Sigal, professeur de lettres et d’histoire au lycée Sonia Delauney, « n’a que trois heures en tout, pour le français, l’histoire et l’EMC [éducation morale et civique] ».
« Assigner les élèves à résidence géographique et sociale »
Tels sont les mots du responsable FSU qui prononce le discours devant le rectorat. Car ce qui suscite l’indignation des professeurs, c’est en fin de compte la main-mise de la logique entrepreneuriale sur la scolarité. D’après Julien Sigal, « ce sont les entreprises qui font les choix des formations professionnelles, en fonction de la demande dans la région. Les élèves ont donc moins le choix de leur voie professionnelle et à l’avenir moins de possibilité de mobilité ». C’est aussi le devenir social des élèves qui est en jeu : « si les élèves et leurs familles sont précaires, ils iront vers l’alternance parce qu’elle est rémunérée, ce qui leur ferme la voie de la poursuite d’études en BTS ou bien en Master ». Pour Johann, enseignant de lettres et histoire au Lycée Valentine Labbé, « le lycée professionnel attire les enfants des classes populaires, mais ce ne sont pas ceux qui réussissent le mieux en apprentissage. Il est donc tentant d’accuser le gouvernement de mépris de classe ». La réforme du lycée professionnel, facteur de précarité sociale ? Tous les enseignants interrogés sont unanimes : le lycée est là pour faire des élèves des citoyens, et ce n’est pas l’entreprise qui peut assurer ce rôle. Sylvie, professeur de sciences et techniques médico-sociales au lycée Valentine Labbé, synthétise le problème : avec cette réforme, on va faire « de jolis moutons, pas des citoyens ».