L’écrivain franco-algérien Kamal Daoud a obtenu, ce lundi 4 novembre 2024, le prix Goncourt, le plus prestigieux prix littéraire en France, avec son roman Houris, 9 ans après avoir remporté le Goncourt du premier roman avec son succès Meursault, contre-enquête. Le même jour, le prix Renaudot à été attribué à Gaël Faye, auteur franco-rwandais, pour son roman Jacaranda, huit ans auparavant il avait reçu le Goncourt des lycéens pour son succès Petit Pays.
Avec Houris, Kamel Daouad raconte la « décennie noire » de l’Algérie
Houris, c’est l’histoire d’une jeune femme victime de la guerre civile confrontant l’armée et les islamistes, qui a fait dès les années 90, en Algérie, entre 100 et 200 mille morts, une des périodes les plus sanglantes et traumatisantes de l’histoire du pays.
Le roman Houris, dont le titre renvoie au terme désignant dans la foi musulmane les jeunes filles promises au paradis, raconte le destin d’Aube, une jeune Algérienne qui le 31 décembre 1999, a été égorgée et laissée pour morte par des islamistes qui ont massacré cette nuit-là mille personnes de son village Had Chekala, dont son père, sa mère, et sa soeur. Elle survit, mais devient muette car ses cordes vocales ont été sectionnées. Kamel Daoud situe l’intrigue d’abord à Oran, la ville où il a été journaliste lors de la « décennie noire », puis dans le désert algérien, où Aube retourne dans son village. Un libraire, lui-aussi victime des islamistes, prend la relève d’Aube dans le rôle du narrateur. Incarnant la liberté de pensée et d’expression, il est censuré et réduit au silence par les extrémistes religieux. Dans son oeuvre Daouad écrit un message clair contre l’obscurantisme et la répression. On peut facilement y voir un écho avec la vie de l’auteur, qui s’est souvent placé contre la religion.
Un auteur controversé dans son pays natal
Réputé et reconnu à l’international, l’écrivain Kamel Daoud suscite pourtant la controverse en Algérie, son pays natal. Bien qu’il soit une figure imminente de la scène intellectuelle, c’est surtout un opposant ferme au régime d’Abdelaziz Bouteflika, ancien président algérien. De plus, ses très nombreuses critiques sur la religion, lui ont valu de nombreux détracteurs, jusqu’à être menacé de meurtre. Il affirme dans une chronique pour le Nouvel Obs « la plus grande aventure intellectuelle d’un Arabe, c’est le religieux, c’est-à-dire comment en sortir ». Et appelle à couper « le nœud gordien de la religion ».
Ancien journaliste pour le Quotidien d’Oran, le romancier est maintenant installé en France. « C’est un pays (la France) qui me donne la liberté d’écrire », a salué l’auteur de 54 ans, au restaurant Drouant, à Paris, où est remis chaque année le prix Goncourt. Sur X, l’auteur remercie ses parents : « C’est votre rêve, payé par vos années de vie. À mon père décédé. À ma mère encore vivante, mais qui ne se souvient plus de rien. Aucun mot n’existe pour dire le vrai merci. »
En Algérie, le livre est censuré, et vendu illicitement car il tombe sous le coup de la loi qui interdit tout ouvrage évoquant la guerre civile de 1992 – 2002. Dans un contexte diplomatique déjà tendu entre France et Algérie, Gallimard, éditeur du livre, a été prié de ne pas se rendre au Salon international du livre d’Alger, du 6 au 16 novembre.
Jacaranda : une fresque d’un traumatisme intergénérationnelle
Après le succès de son premier roman, Petit Pays, le rappeur et romancier de 42 ans, Gaël Faye revient avec Jacaranda. Un roman qui explore la reconstruction de la société rwandaise, qui a subit il y a 30 ans, en 1994, un génocide ayant causé la mort de près de 800 000 personnes, principalement issues de la minorité tutsie. Dans cette nouvelle oeuvre, Gaël Faye, raconte des parcours individuels qui portent en eux la mémoire collective et les traumatismes d’une nation marquée par l’indicible.
Gaël Faye parle de « l’après »
Le récit est porté par deux personnages principaux : Milan, le narrateur, un jeune métis de douze ans, qui découvre au printemps 1994, par les images choquantes diffusées à la télévision, les massacres qui ensanglantent le pays d’origine de sa mère, qu’il ne connaît pas. Ce fils d’une Rwandaise et d’un Français, élevé en France, se lance alors dans une quête de vérité. Mais il se heurte à l’omerta de sa mère et de sa grand-mère, toutes deux survivantes des événements. Son histoire se croise avec celle de Stella, qui souffre d’un mal que sa famille ne comprends pas. Stella est née dans un Rwanda en paix, mais est pourtant hantée par un malaise mystérieux qui semble lié à son arbre fétiche : le jacaranda, aux fleurs mauves, refuge intime pour la jeune fille en quête d’apaisement. Stella se heurte aussi à un secret familial et entreprend de transcrire des cassettes retraçant la vie de son arrière-grand-mère Rosalie, témoin du génocide, un acte crucial pour ne pas laisser l’oubli l’emporter. Porté par une écriture à la fois sobre et poétique, Gaël Faye nous invite à suivre les traces d’une fresque intergénérationnelle, dans laquelle il explore les moyens pour une société de renouer avec son passé et de guérir de ses traumatismes.
Houris et Jacaranda, bien que très différentes tant par leurs récits que par leurs styles, partagent cependant des points communs significatifs. Ancrés dans des pays marqués par des tragédies historiques, ces deux récits sont portés par des auteurs franco-africains. Ils abordent avant tout une mémoire douloureuse, des plaies à panser, mais aussi, et surtout, des liens à reconstruire.
La quatrième édition du prix du Cheval Blanc s’est tenue ce dimanche 3 novembre 2024 au restaurant Au Cheval Blanc, lieu emblématique du quartier de Wazemmes. Ce prix a récompensé l’auteur Magyd Cherfi pour son roman La vie de ma mère !, un récit qui explore la place des femmes et des mères dans la société. La volonté de cet événement est de créer un prix sans académisme ni élitisme littéraire, le prix célèbre ici le plaisir de lire. Il met en lumière une œuvre à l’écriture vivante et originale, à l’image du quartier vibrant de Wazemmes.