À Lille et ses alentours, 3 000 personnes vivent dans la rue, dans une tente ou dans un habitat précaire. Nous avons voulu aller au-delà de la froideur des chiffres et échanger avec quatre personnes aussi touchantes que bouleversantes.
Dans la Métropole européenne de Lille, trois mille personnes* rejoignent Morphée sur le pavé, dans un foyer ou dans un bidonville. Ils voient les passants en contre-plongée, quand ces derniers évitent de les observer. Trois mille personnes « sans solution », pour autant de raisons.
ON N’APPREND PAS À FAIRE LA MANCHE À L’ÉCOLE
Au bout de la rue Faidherbe, dos à la gare Lille Flandres, on retrouve Mélanie, 42 ans. « Je ne sais pas trop comment vous demander de m’aider, c’est encore compliqué pour moi… on n’apprend pas à faire la manche à l’école ». La crise du covid, des impayés… puis une mesure d’expulsion. L’ancienne commerciale lilloise a dû « repartir de zéro », à la rue. Livrée à elle-même, elle a pu s’entourer d’une poignée de personnes de confiance : « heureusement, il y a les associations, mais les foyers sont saturés. C’est la chasse à la pièce de monnaie pour se payer une chambre à l’hôtel ou à l’auberge ».
LA MOITIÉ D’UNE VIE DANS LA RUE
À quelques kilomètres d’ici, Arnaud se place généralement entre deux symboles lillois : le marché de Wazemmes et une boutique « Aux Merveilleux de Fred ». Âgé de 43 ans, il a passé près de la moitié de son existence dans la rue. « Ça fait 20 ans maintenant. Jeune, j’ai fait des conneries, je suis parti pour que mes parents n’en subissent pas les conséquences. » À défaut des siens, il peut compter sur un ami : « avant il était dans la même situation que moi, mais il a obtenu un logement. Maintenant, il m’héberge le soir, à Mons-en-Barœul ». De quoi lui offrir une lueur d’espoir, lui qui est sur liste d’attente pour trouver un toit « depuis trop longtemps ».
FAIRE LA MANCHE À 80 ANS
Deux arrêts de métro plus loin se trouve Nelly. L’octogénaire est posée sur sa chaise, rue de Béthune ou place Rihour. « Je fais la manche quasi tous les jours, entre 8 h et 16 h ». Elle vit seule : « je ne m’embête plus avec un homme à mon âge, j’ai assez donné ! ». La pauvreté l’astreint depuis quatre ans à faire la manche, pour se nourrir. Mais sous le soleil lillois, un petit plaisir fait son grand bonheur : « j’ai passé l’après-midi à manger des bonbons ».
*Selon la dernière étude de l’Agence de développement et d’urbanisme de Lille Métropole en mars 2020, 3 000 personnes sont sans-abri dans la MEL. On compte aussi 13 000 personnes vivant en cohabitation subie.
800 gamins sans-abri dans la MEL
« Je dors dans une tente. Bon, je ne vous dis pas où, car je suis une femme. Après des déconvenues professionnelles, je me suis regardée dans un miroir, et je suis partie. Après tout, mes enfants étaient déjà élevés. Maintenant je voyage beaucoup, notre pays est magnifique ! Et, depuis 2017 je milite pour la Déclaration des Droits des sans-abri. Vous savez, on voit des mamans avec leurs bébés de quelques mois qui dorment dans le métro. Il y a 800 gamins sans-abri dans la MEL… ils tombent tous malades ! »