La colonisation a laissé des traces sur les pays africains que la décolonisation n’a jamais effacées. Les mémoires de ces décennies de domination ne peuvent s’apaiser le jour de l’indépendance. Quel souvenir de la colonisation reste-il plus de trente ans après l’indépendance ? Une décolonisation violente, qui s’est faite à la suite d’une guerre, influe-t-elle sur les mémoires ?
La Namibie a connu une colonisation particulière, bien qu’il ne soit pas vraiment possible de définir une colonisation type du continent africain tant les modes d’invasion et d’installation sur les territoires ont été variés.
La Namibie a été successivement une colonie allemande de 1886 à 1915 puis une colonie Sud-africaine jusqu’en 1990. En 1915, alors que l’Allemagne est embourbée dans la Première guerre mondiale, l’Afrique du Sud envahit la Namibie qui se nomme à l’époque le Sud-Ouest africain*. Après la défaite allemande, la société des nations place en 1920 la Namibie sous protectorat sudafricain.
Le début de la décolonisation
La phase de décolonisation de Namibie commence dans les années 1960, comme une large partie des autres pays africains colonisés. Elle durera une trentaine d’années et se fera assez pacifiquement. En 1959, le massacre d’Old location, quartier réservé aux Noirs de Windhoek, fait 57 tués lors d’une manifestation de protestation contre la mise en place de l’apartheid. En 1960, la SWAPO (Organisation du peuple du Sud-Ouest africain : anglais, South West Africa People’s Organization), est fondée. Cette organisation va être la pierre angulaire du processus de décolonisation de la Namibie. En 1966, la Namibie est placée sous tutelle de l’ONU. En 1967, la guérilla de la SWAPO contre la présence sud-africaine débute. En 1968, le Sud-Ouest africain est rebaptisé Namibie par l’ONU. En 1971, la Cour internationale de justice reconnaît l’illégalité de la présence sud-africaine en Namibie.
Le 12 septembre 1973, dans sa résolution N°3111, l’Assemblée générale des Nations unies reconnaît à la SWAPO le titre de « représentant unique et authentique du peuple namibien ». En 1979, la discrimination raciale fondée sur les mêmes critères que l’apartheid su africaine, c’est à dire la couleur de peau, est abolie. En 1988 – 1989, des accords sont signés sous l’égide des Nations unies pour une transition vers l’indépendance de la Namibie. En 1989, la SWAPO gagne les premières élections générales auxquelles elle participe. En 1990, le pays est indépendant.
Comment la Namibie a‑t-elle traité son passé colonial ?
L’un des signes de la réappropriation de son histoire par un pays colonisé est la manière dont est traité le patrimoine urbain du pays. Celui de la Namibie montre bien le rapport qu’à la Namibie avec son passé. L’Indépendance n’a pas été suivie d’une vague iconoclaste. Les rues, villes et lieux géographiques allemands n’ont pas été rebaptisés et les monuments aux morts sont restés en place. Le changement de dénomination de certains odonymes n’est que plus récent et vient du gouvernement descendant des politiques du SWAPO. Ces initiatives ont suscité la critique de l’ancienne génération de Namibiens allemands, la population germanophone. Les jeunes y ont réagi de manière plus modérée voir avec enthousiasme en reconnaissant le droit de la Namibie à désigner les voies de circulation importantes d’après les noms des personnalités qui fondèrent l’État actuel et à débaptiser les noms de rues qui portent des noms de colons.
Plus que rebaptiser le nom des villes ou de déplacer des monuments, des villes ont été renommées, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres pays décolonisés. Là par contre, il y a eu des débats. Ainsi la nouvelle dénomination « !Nami‡nûs » (Naminüs) est-elle envisagée pour la ville portuaire de Lüderitz. La particularité de ce nom de ville est qu’il se compose de clics des langues khoïsan. De nombreux Noirs tout autant que les habitants germanophones de Lüderitz y sont défavorables car cette dénomination est difficilement prononçable pour la majorité des habitants. Certains détracteurs ajoutent que ces villes furent fondées par des Allemands et que le passé colonial allemand fait partie intégrante de l’histoire namibienne. Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’argument marketing que représentent les dénominations à consonance germanophone pour les touristes allemands.
Changer les noms de villes pour se réapproprier son histoire
La question du changement d’odonymes est d’autant plus intéressante qu’elle a également été envisagée ces dernières années en Allemagne pour les noms de rues relatifs à des territoires coloniaux, des soldats ou des fonctionnaires. On en trouve dans de nombreuses villes allemandes. C’est aussi un phénomène sociétal qu’on retrouve en France et d’autres pays anciennement colonisateurs où la population elle-même fait un travail mémoriel sur son passé. C’est une décolonisation des esprits des descendants des colons.
Ici, c’est plus une sorte de décolonisation des terminologies du pays qui s’est opérée. Le génocide des Hereros et Namas est un des points central des luttes mémorielles. Entre 1904 et 1907, les Héréros et les Namas se sont révoltés. Ca a donné lieux à de nombreux conflits dont un génocide qui a exterminé 80% de la population de ces deux ethnies qui ont perdu presque tout leur territoire et une partie des survivants ont été réduits en esclavage.
La question brûlante du génocide des Hereros et des Hamas
La gestion de ces traumatismes collectifs est aussi un enjeu de la décolonisation. En 2015 la qualification de génocide des crimes commis par les Turcs à l’encontre des Arméniens en 1915/1916 a impulsé une nouvelle dynamique à ce débat autour des crimes coloniaux allemands. En mai 2015 le gouvernement fédéral reconnait en partie sa responsabilité dans le massacre perpétré mais n’estime pas que cela relève du génocide car ne relèverait pas d’une volonté d’extermination de ces populations.
En juillet 2015 divers groupes d’intérêts civils ont publié l’appel « Un génocide est un génocide ! », exigeant la reconnaissance du terme de « génocide » des Hereros et des Namas par l’Allemagne. Le caractère génocidaire du massacre a été reconnu très récemment, en 2021.
- Durant le reste de l’exposé, je fais le choix de nommer la Namibie par le nom qu’elle porte actuellement. Le Sud Ouest africain a les mêmes frontières que l’actuelle Namibie, c’est pour cela que je me permets de le faire.