Le 24 mars de chaque année, nous célébrons la Journée mondiale de lutte contre la tuberculose. Mais savez-vous que c’est à l’Institut Pasteur de Lille que le premier vaccin contre la tuberculose, le BCG, a été développé ? C’est aussi dans ce même Institut que des recherches sont en cours afin d’endiguer ce fléau. Interview de Nicolas Willand, professeur de chimie organique et de chimie médicinale à la faculté de pharmacie de Lille et chercheur à l’Institut Pasteur.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Nicolas Willand. – Nous sommes à l’origine de la découverte d’un nouveau composé qui s’appelle Alpibectir et qui est développé ici, à l’Institut Pasteur de Lille. En réalité, il y a plusieurs stratégies pour lutter contre la tuberculose : il y a bien évidemment la création du BCG – le bacille a été découvert ici même par Calmette et Guérin en 1921, d’où son nom BCG – mais aujourd’hui on travaille aussi sur le développement de nouveaux antibiotiques, des petites molécules. Grâce à l’Alpibectir, nous allons pouvoir redonner une activité aux anciennes molécules notamment l’Ethionamide – qui est un antibiotique contre la tuberculose – et les molécules que nous développons vont permettre de finalement contourner la résistance des bactéries en combinaison avec ces anciens antibiotiques.
Est-ce prometteur ?
N. W. – C’est quelque chose qui est prometteur, puisque le composé est en étude clinique, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, il est donné à des patients qui sont atteints de tuberculose sensible, la forme de la maladie la plus simple à soigner. Les résultats sont quant à eux encourageants : le composé fonctionne très bien. C’est une molécule qui permet de redonner à d’anciens antibiotiques, qui n’étaient plus efficaces face à certaines bactéries, un regain d’activité. Cela permettra donc à des patients atteints de tuberculose résistante de guérir en réutilisant ces composés.
Y a‑t-il d’autres vaccins dans le monde que le BCG ?
N. W. – Il y a effectivement d’autres vaccins qui sont toujours en étude et qui restent un pan important dans la recherche contre la tuberculose dans le monde. Ce sont des vaccins pour lesquels nous essayons d’avoir une meilleure efficacité puisque le BCG est surtout efficace pour les enfants et pas chez l’adulte : cela nous permettrait d’avoir une meilleure couverture vaccinale.
La molécule Alpibectir est-elle efficace chez l’adulte ?
N. W. – Oui bien sûr. Ce sont des composés qui sont actifs et efficaces chez les adultes. Chez les enfants, nous ne pouvons pas encore le tester car les phases cliniques sont seulement faites chez les adultes mais, a priori, ce composé peut être efficient chez n’importe quel patient atteint de tuberculose multi-résistante.
Voyez-vous un regain de solidarité par rapport à la tuberculose depuis le Coronavirus ?
N. W. – Je vais avoir du mal à répondre à cette question car le Covid est encore très récent. C’est en revanche possible, mais il faut garder en tête que la tuberculose est, pour les gens en général, une maladie du passé. Le BCG a été découvert en 1921, il y a 100 ans, donc je pense que pour la majorité des personnes, c’est une vieille maladie. Malheureusement, à l’heure actuelle c’est toujours une problématique mondiale importante car elle touche 10,6 millions de personnes chaque année et en tue également 1,6 millions. C’est la première cause de mortalité liée à un agent infectieux dans le monde. Il est donc primordial de continuer de travailler dans ce domaine-là, trouver de nouveaux antibiotiques, de nouveaux vaccins, de nouvelles solutions et puis surtout, diminuer les temps de traitement qui sont très long. La tuberculose non-résistante a 6 mois de traitement tandis que pour la tuberculose résistante, ça peut aller jusqu’à 9 mois de traitement dont une utilisation de 4 antibiotiques voire plus en même temps par jour.
Comment la France se place dans la recherche par rapport aux autres pays ?
N. W. – La recherche est aujourd’hui mondiale et la France travaille main dans la main avec des équipes en Europe. Nous faisons d’ailleurs partie d’un consortium européen du nom de consortium ERA4TB de développement de recherche de nouveaux antibiotiques ciblant la tuberculose. C’est un des partenaires importants en Europe qui travaille sur la recherche de nouvelles solutions en lien avec des équipes américaines mais aussi asiatiques.
Pourrait-il y avoir un impact de l’arrêt des aides étrangères américaines sur la recherche contre la tuberculose ?
N. W. – Cela aura malheureusement un impact sur la recherche tout court. Les Etats-Unis sont un moteur important de la recherche et des avancées scientifiques dans le monde. Donc arrêter le financement pourrait avoir des conséquences. Pour la tuberculose encore plus, puisque c’est une maladie négligée bien qu’il y ait heureusement la fondation Bill-et-Melinda-Gates aux USA qui finance énormément la recherche sur la tuberculose. Espérons que ces financements seront toujours récurrents mais, pour l’instant, nous sommes dans l’expectative…