A l’invasion de l’Ukraine par la Russie en janvier 2022, la milice russe Wagner déploie ses troupes sur le front ennemi. Si elle se préparait aujourd’hui à retirer ses soldats du territoire ukrainien, Wagner ne s’effacerait pas pour autant du paysage géopolitique. Loin s’en faut, car depuis six ans, le groupe est particulièrement actif sur un autre théâtre d’opération : le continent africain.
Wagner est « sans doute l’armée la plus expérimentée du monde aujourd’hui » affirme Evgueni Prigojine, homme d’affaire russe et fondateur du groupe. Présentée comme une société militaire privée fournissant des mercenaires assurant la défense des intérêts extérieures de la Russie, Wagner fait ses preuves dans le Donbass à partir de 2014 avant de se diversifier dans la prospection minière et l’exploitation de ressources naturelles diverses, notamment en Afrique. Menées par le militaire Dmitri Outkine, néonazi notoire et ancien lieutenant-colonel au sein des Spetsnaz, les troupes compteraient aujourd’hui plus de 10 000 hommes, volontaires ou anciens prisonniers enrôlés.
Souvent considéré comme une branche du ministère de la Défense de la fédération de Russie, qui lui fournirait matériel et hommes, Wagner entretient des relations troubles avec l’armée russe. Selon Isabelle Mandraud, journaliste au Monde : « Les mercenaires russes n’ont pas d’existence légale en Russie. Leurs liens avec le pouvoir sont pourtant évidents. Leur chef s’était ainsi pris en photo au côté du président Vladimir Poutine lors d’une réception au Kremlin en décembre 2016. »
Une milice invitée par les gouvernements pour rétablir l’ordre
Le premier terrain d’action à l’étranger de Wagner est la Syrie, aux côtés de Bachar el-Assad dès 2014. Depuis, l’influence de la milice s’étend au Proche et Moyen-Orient et à l’Afrique centrale. Un récent rapport estime que Wagner est désormais visible dans 24 pays sur ce continent.
Leur but ? Restaurer la grandeur de la Russie vis-à-vis du monde. Selon Catherine Belton, journaliste pour Reuters, « Ils croient qu’ils doivent affaiblir l’Occident, briser son unité et semer la discorde. Plus l’Occident est faible, mieux c’est pour la Russie et pour sa position sur la scène internationale. » Pour sa mission, le président russe réinvestit un continent qu’il avait abandonné à la chute de l’URSS : l’Afrique subsaharienne, déstabilisée par la faiblesse de ses institutions et la nécessité de protéger ses sites miniers.
Une « méthode Wagner » ?
Le journaliste Paul Gogo y décrit une véritable « méthode Wagner » : officiellement invités par les pays concernés, les hommes de Wagner apparaissent progressivement dans les cabinets des ministres, d’abord pour assurer leur protection avant d’imposer une véritable influence sur leur politique. Ils s’imposent comme des relais entre le Kremlin et les ministres en question.
Wagner ou la politique russe en soutien aux dictatures africaines
Mais la présence des « instructeurs » russes et leur mission restent opaques. Surtout, elles se détachent de leur rôle initial de rétablissement de l’ordre en menant des actions de soutien à certaines des plus grandes dictatures du continent africain.
En Lybie, selon le site russe Meduza, trois cents hommes du groupe Wagner prennent part à la bataille de Tripoli de 2019 aux côtés des forces de l’Armée nationale libyenne du maréchal Haftar, contre les forces du Gouvernement d’union nationale (GNA) dirigé par Fayez el-Sarraj et reconnu par l’ONU. Selon des informateurs anonymes d’un journaliste de la BBC News ayant retrouvé une tablette abandonnée sur un champ de bataille en Syrie, jusqu’à mille combattants du groupe auraient participé à des combats en Libye.
À partir de 2018, des mercenaires du groupe Wagner sont présents en Centrafrique à la demande du président Faustin-Archange Touadéra, afin de protéger les dirigeants centrafricains, des sites miniers et de former l’armée du pays pour faire face à une rébellion.
Mais dès mai 2021, le groupe Wagner mène des opérations de plus en plus indépendantes. Si les mercenaires du groupe Wagner continuent de jouer un rôle important dans la formation des Forces armées centrafricaines, ils agissent indépendamment des forces étatiques dans au moins 50 % des événements liés à des faits de violence politique chaque mois depuis mai 2021. Le groupe est aussi soupçonné d’avoir participé au massacre d’Aïgbado en janvier 2022.
Wagner contre l’Europe
L’autre enjeu de Wagner de faire perdre à l’Occident de sa grandeur et de son influence. Comme au Mali, où la France opère depuis 2014 pour lutter contre divers groupes armés islamistes mais dont l’action est controversée.
La milice joue sur les ressentiments et fait mûrir l’idée selon laquelle les Français seront des colons dont la Russie vient les libérer. Se développe alors au sein du peuple malien une animosité envers les militaires français, à tel point que le gouvernement de transition malien, issu d’un coup d’État, est accusé par la France et ses alliés de se rapprocher de la Russie et du groupe Wagner pour continuer la lutte contre les groupes armés islamistes. En juin 2021, le président français Emmanuel Macron annonce finalement retirer ses troupes du pays.
La mainmise sur les sites pétroliers
Mais comme toute entreprise, Wagner doit générer des profits. Au Soudan, le gouvernement est ainsi soupçonné de céder l’exploitation et l’exportation de son or vers Moscou en échange du soutien logistique et humain des mercenaires russes du groupe Wagner. Selon le journal Le Monde, l’entreprise soudanaise d’extraction de l’or Meroe Gold se serait engagée à verser 30 % de ses bénéfices à Wagner en échange du soutien militaire de la société russe au pays africain. Wagner détiendrait également des mines de diamant au Burkina Faso, ce qu’a récemment nié le gouvernement burkinabé.
Une milice coupable de nombreuses exactions
Les membres du groupe sont soupçonnés d’exactions, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Mali, en Libye, en Centrafrique et en Syrie. Le groupe Wagner se livre, en effet, à un niveau élevé de ciblage des populations civiles. Ainsi, les actions où des civils sont pris pour cibles représentent 52% et 71%, respectivement, des faits de violence politique commis par le groupe Wagner en RCA et au Mali, un taux largement supérieur à celui des actions ciblant des civils attribués aux forces étatiques alliées ou aux groupes rebelles évoluant au sein du même contexte. En Centrafrique, des rapports de l’ONU dénoncent de graves violations des droits de l’Homme imputables aux sociétés militaires privées russes. Mais face à ces exactions, plane une quasi-totale impunité en raison de la difficulté à trouver des preuves : Wagner est une armée de l’ombre qui laisse peu de traces.
En 2021, l’Union européenne a malgré tout décidé de sanctions à l’égard du groupe, « au vu de la dimension internationale et de la gravité des activités du groupe, ainsi que de son impact déstabilisateur sur les pays où il est actif. Les activités du groupe Wagner sont une menace pour les populations des pays où ils opèrent pour l’Union européenne. » Depuis le 20 janvier 2023, les Etats-Unis considèrent l’organisation comme une organisation criminelle internationale, tandis que l’Ukraine l’a classée parmi les organisations terroristes en février.