Une vaste enquête souligne la lassitude, l’exaspération et la fatigue qui rongent les maires de France. Le Premier ministre était attendu mardi 19 novembre au congrès qui leur est dédié, beaucoup en ont profité pour faire passer plus d’un message.
Dimanche 17 novembre, il est 16h30, le thé dansant de Merville (Nord) va débuter. Le froid de novembre s’est définitivement emparé des rues, c’est pourquoi la salle des fêtes saura d’autant plus réchauffer le gratin mervillois. Tandis que certains viennent simplement pour « passer le dimanche », d’autres sont vêtus de costumes et d’ambitions politiques. Dans cette ville de 9 500 habitants, l’ambiance est morose. « Je suis de l’opposition, je ne suis donc pas spécialement pour ce que dit ou fait le maire, mais je crois sincèrement qu’il est à bout de souffle. Récemment, il en est même venu aux mains. La fatigue n’excuse pas tout, mais il faut avouer qu’il est sous l’eau depuis quelque temps », confie une habitante en sortant de la salle. Parmi les 36 000 maires de France, 83 % tirent la sonnette d’alarme. Le 106e congrès des maires de France, prévu à partir de mardi 19 novembre, devrait donc être un concentré des attentes et des plaintes des premiers édiles.
« Des acteurs toujours en première ligne »
Un mandat « usant pour la santé ». Ce sont ces mots qui reviennent fréquemment pour qualifier la vie de maire. Selon une vaste étude soutenue par l’Association des maires de France (AMF), pilotée par des chercheurs du Centre de sociologie des organisations (CSO), être à la tête d’une commune revient à se miner la santé. Un questionnaire inédit consacré à la santé mentale des élus a été envoyé à l’ensemble des maires en mandat au 1er avril 2024, 5 000 ont répondu, 3 000 ont rempli la totalité des soixante questions. Plus d’un maire sur deux reconnaît être sujet à des troubles du sommeil, 64,7 % des sondés soulignent leur fatigue physique ou des moments de lassitude, 77 % estiment avoir une action inefficace.
Jérôme Pélisse, chercheur au CSO a mis des mots sur ces statistiques, dont il semble être difficile de prendre conscience. « Les maires sont des acteurs très exposés, toujours en première ligne. Et la manière dont cette charge est supportée varie aussi en fonction de la taille de la commune. Les maires des petites communes sont souvent seuls face aux décisions à prendre et à assumer, avec peu de soutien local », détaille le chercheur.
Didier Demazière, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et au CSO, insiste sur l’usure qui guette en permanence nos édiles : « Être maire est très énergivore, cela demande beaucoup de temps et de disponibilités. Au-delà du manque de reconnaissance ou encore des incivilités, ils sont nombreux à considérer que leur mandat est usant pour la santé. » Croulant sous les 5 milliards d’euros d’économie que le gouvernement veut faire sur le dos des collectivités, les maires s’insurgent. Il est cependant important de noter que, paradoxalement, 99,7 % expriment le sentiment de « faire quelque chose d’utile pour les autres » et que 98,5 % « ont la fierté du travail bien fait ». Si la balance penche des deux côtés, Jérome Pélisse ne s’en étonne pas : « C’est parce que ce mandat nourrit de la fierté que cet engagement est important. » Depuis 2020 et les dernières élections municipales, près de 1 800 maires ont rendu leur mandat, et 29 000 démissions ont été enregistrées chez les conseillers municipaux. Malgré ce ras-le-bol, les prochaines élections municipales sont en ligne de mire. Un vent de fraîcheur est attendu, mais saura-t-il préserver son souffle pendant six ans ? « 2026, c’est pour bientôt. Deux ans, ça passe très vite », se rassure une mervilloise de l’opposition avant de reprendre le chemin du retour, dans le froid et le noir de novembre.