Alors que le sommet du G20 se tenait les 18 et 19 novembre au Brésil, la colère des agriculteurs a resurgi en France et en Europe. L’accord Union Européenne-Mercosur, ou marché commun du Sud au cœur des discussions cristallise les tensions de l’autre côté de l’Atlantique. On fait le point sur les raisons principales de cette colère du monde paysan.
« Non au Mercosur » peut-on lire sur les tracteurs rassemblés autour du rond- point de Buffalo Grill à Roncq (Nord). Alors que le G20 s’est tenu le lundi 18 et mardi 19 novembre dernier à Rio de Janeiro (Brésil), les agriculteurs de France et d’Europe ont manifesté leur colère au même moment. Dans le Nord et le Pas-de- Calais, 19 feux de la colère ont été allumés lundi 18 novembre, à 19h.
Au cœur du débat : l’accord de libre-échange entre l’Union Européenne (UE) et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Bolivie), négocié depuis 1999. Ce traité prévoit de supprimer plus de 90 % des droits de douane afin de faciliter les échanges entre le Mercosur et l’Union Européenne. Une situation que redoute le monde agricole en Europe, qui critique l’accord surnommé « viande contre voiture ».
« Une concurrence déloyale »
C’est le point de discorde principal. Les agriculteurs européens dénoncent avant tout l’importation de viande bovine et de volailles à des prix défiant toute concurrence, sur lesquels ils ne peuvent pas s’aligner. « C’est de la concurrence déloyale », affirme Jean-Pierre, 52 ans, éleveur de vaches allaitantes qui craint que les produits importés viennent inonder le marché européen à très bas prix. Cependant, la Commission Européenne soutient que seuls des « petits volumes » sont concernés. Par exemple, pour la viande bovine, des quotas seraient fixés à 99 000 tonnes maximum en cinq ans, soit 1,6% de la production de l’UE. Ces produits seraient alors importés en Europe à bas prix, puisque les produc- teurs sud-américains bénéficient de coûts de production plus bas, que ce soit au niveau de la main‑d’œuvre, du prix de la terre, mais aussi des normes jugées moins strictes…
L’exigence que les normes européennes s’appliquent à tous
C’est par ailleurs ce qu’exigent les manifestants : que les normes européennes s’appliquent bien aux produits importés. « Tout produit du Mercosur doit respecter les normes strictes de l’Union en matière de sécurité alimentaire », assure la Commission. Pourtant, les agriculteurs redoutent que cette obligation théorique ne soit pas correctement appliquée dans les faits. Viande traitée aux hormones, usage de pesticides, bien-être animal : les normes sont moins strictes en Amérique du Sud, et les producteurs européens craignent que la traçabilité des produits soit imparfaite. « Comment peut-on savoir dans quelles conditions la viande a été produite ? », s’interroge Jean-Pierre.
La critique des conséquences écologiques
Une partie des manifestants dénonce aussi ce qu’engendrerait l’accord de libre-échange sur le plan environnemental. La hausse du commerce augmenterait le transit de marchandises au-dessus de l’Atlantique, et donc les émissions de gaz à effet de serre. En outre, la déforestation pourrait empirer à cause de la surexploitation des terres causée par la demande européenne croissante. La Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) ainsi que les Jeunes Agriculteurs (JA) ont annoncé trois nouvelles journées de manifestations les 26, 27 et 28 novembre prochain en attendant le prochain sommet du Mercosur aura lieu en Uruguay du 2 au 4 décembre 2024.
À qui profite l’accord ?
Si des pays comme la France et la Pologne émettent de vives réserves face à l’accord UE-Mercosur, notamment en raison des conséquences pour la filière agricole, les soutiens à la signature du traité sont majoritaires en Europe, à commencer par la Commission.
L’Allemagne est également en première ligne pour pousser à la réduction des barrières douanières. En effet, outre-Rhin, on a tout à gagner de cet accord « viande contre voiture », puisque qu’il serait fortement bénéfique à l’industrie automobile. Or l’Allemagne est le leader européen en matière de production automobile, avec des entreprises comme Mercedes, BMW ou Volkswagen, et serait donc en passe de développer son marché en Amérique du Sud. Le chancelier Olaf Scholz a par ailleurs qualifié l’accord de « révolutionnaire pour la diversification et la résilience de l’économie européenne ».
L’Espagne soutient également l’accord UE-Mercosur puisqu’elle pourrait davantage exporter sa production dans divers domaines, notamment textile ou pharmaceutique. Selon une étude du secrétariat d’État espagnol, les exportations du pays vers le Mercosur augmenteront de 37% avec un accord de libre-échange. Malgré les craintes des agriculteurs locaux, et plus précisément des éleveurs bovins, d’autres filières plus locales comme le vin ou l’huile d’olive pourraient largement tirer profit de l’accord.
C’est également le cas en Italie, où les industries du vin et de l’huile d’olive, mais également de la mode et de l’automobile bénéficieraient de l’accord. Cependant, le pays se range du côté des opposants au traité : « Le traité UE-Mercosur dans sa forme actuelle n’est pas acceptable », a affirmé Francesco Lollobrigida, le ministre de l’Agriculture italien.
Le fait qu’une majorité d’États européens soient en faveur du traité s’explique par le fait que celui-ci ouvrirait un marché de 280 millions de consommateurs aux entreprises européennes, et donc françaises.