Sous l’apparente promesse d’un premier pas vers le monde du travail, le stage cache parfois des réalités bien différentes. Certains s’accordent à dire qu’il représente une formation indispensable à la concrétisation de leurs projets, pour d’autres, il semble se transformer en une forme dissimulée de salariat, où l’apprentissage cède le pas à l’exploitation. Témoignages d’étudiants.
Les stages sont souvent présentés comme un tremplin vers l’emploi, mais qu’en pensent réellement les jeunes ? Pour ce faire, Contrepoint a réalisé un « sondage » sur Instagram auprès d’un échantillon d’une soixantaine de personnes, âgées de 18 à 25 ans. Celui-ci met en évidence des perceptions contrastées. Si une majorité des répondants (43 sur 66) estime que leurs stages ont été véritablement enrichissants, 20 considèrent qu’ils n’ont apporté qu’un bénéfice limité, et 3 les jugent totalement inutiles. L’utilité des stages comme expérience formatrice fait consensus : 63 répondants sur 66 les considèrent indispensables. Mais lorsqu’il s’agit de leur impact sur l’accès à l’emploi, le constat est plus nuancé. Parmi les 55 personnes ayant répondu à la question, seules 21 estiment que leurs stages leur ont directement permis de décrocher un poste, tandis que 34 n’y voient aucun effet.
Dès lors qu’ils sont bien encadrés et riches en apprentissages, les stages deviennent bien plus qu’une simple ligne sur un CV : révélation, premier pas vers le monde professionnel, parfois même une opportunité concrète d’emploi… Mathilde, Valentine et Paul en ont fait l’expérience.

« Il y a eu une vraie transmission de savoir »
Passionnée depuis son enfance par l’audiovisuel, Mathilde, étudiante en master communication et générations, confie à Contrepoint avoir longtemps hésité à s’aventurer dans ce domaine, faute de formation spécifique. Sa bonne étoile l’a finalement guidé vers une opportunité inattendue : un stage dans un festival de cinéma. Au fil des semaines, elle découvre un monde qui lui était inaccessible, où pourtant elle trouve sa place. « Il y a eu une vraie transmission de savoir. J’ai compris qu’il était possible d’intégrer ce milieu, même sans réseau, même sans les bonnes études », insiste t‑elle. Mieux encore, son stage se prolonge en CDD, lui permettant de rattacher son projet professionnel (travailler dans l’évènementiel culturel) à son rêve : le cinéma. « On m’a embauchée pour toute la durée du festival ». Un premier pas qui lui ouvre encore d’autres portes. Par la suite, « on m’a donné des contacts dans le milieu… Aujourd’hui, je suis en stage à Paris et bientôt, je travaillerai sur un festival de séries à Cannes », s’enthousiasme t‑elle. Ce premier stage a ainsi constitué la première pierre de son édifice professionnel. Il lui a non seulement permis de récolter des conseils avisés, mais également d’obtenir un carnet d’adresses précieux, qu’elle saura exploiter tout au long de sa carrière.
De son côté, Valentine, étudiante en master journalisme, a vu son écriture se perfectionner grâce à un stage où elle a bénéficié d’une grande liberté créative. « On m’a tout de suite fait confiance », raconte t‑elle. D’abord relue minutieusement par ses responsables, elle apprend, affine son regard et prend de l’assurance. « Au début, j’avais du mal à poser les premières lignes. À la fin, j’avais écrit tellement d’articles que tout semblait couler de source », se réjouit-elle. Un stage qui se transforme en véritable école du réel, une immersion qui la confronte aux exigences du métier. Son travail s’améliore, ses notes aussi. L’expérience a dissipé ses doutes et lui a offert une certitude : elle sera journaliste.
Paul*, lui, a été immergé dans un environnement inconnu. À Oslo, il découvre la réalité d’un stage hors de France, avec ses avantages et ses contraintes. « J’avais la chance, dans ma fac, d’avoir un fonds de solidarité pour pouvoir vivre, en plus de mon indemnité de stage ». Une aide indispensable dans un pays aussi cher que la Norvège. La chance lui sourit de nouveau quand il apprend qu’il bénéficiera d’un logement prêté par l’ambassade. Au début cantonné à l’archivage, il saisit chaque opportunité. « Ça s’est tellement bien passé qu’on m’a confié des missions qui n’étaient pas inscrites dans ma convention : traduction, organisation d’événements, accès au pôle culturel et scientifique ». Encadré par des professionnels bienveillants, il gagne en compétences et en autonomie. Mais son second stage prendra une tournure bien différente.

« Chaque soir, je rentrais chez moi en larmes »
Cinq mois à Saint-Marin, au sein de l’Assemblée Parlementaire de la Méditerranée (APM), voilà ce à quoi s’attendait l’étudiant. Un stage prestigieux en apparence, « mais sans la moindre rémunération », confie-t-il à Contrepoint. Dès le début, l’obtention du poste relève du parcours du combattant. Des mois d’attente, une confirmation de dernière minute, et à onze jours du départ, un obstacle de taille : le logement. Seul face aux démarches administratives, il se heurte à un paradoxe absurde. « Impossible de signer la convention sans adresse fixe. Impossible d’obtenir une aide financière sans convention signée », s’exaspère t‑il. L’Institut d’études politiques de Bordeaux ne lui apporte aucun soutien. L’organisation d’accueil, elle, lui suggère d’abandonner. « Si j’annule, je ne valide pas mon année. Pas de stage, pas de master. Et redoubler me coûterait 10 000 euros », s’inquiète Paul, boursier de son état. Coincé entre des exigences bureaucratiques et une réalité économique insurmontable, le jeune étudiant voit son avenir universitaire vaciller. « J’ai mis six mois à obtenir ce stage. Trouver une alternative en une semaine ? C’est mission impossible ! », s’exclame t‑il. Ce qui devait être une opportunité se transforme en impasse. Ou pire.
« Je trouve que c’est trop contraignant d’obliger les étudiants à faire un stage », souffle Valentine. « Quand ton diplôme dépend d’une expérience que tu subis plus que tu ne la choisis, ça devient un piège ». Un piège, c’est ce que Lila* a ressenti. Pour elle, tout commence lors de son premier stage en L2, au sein d’une radio associative. Un mois d’observation, quelques fiches de lecture, des rudiments d’apprentissage. Pas l’éclate, mais rien d’inquiétant. Enthousiaste, elle décide d’y retourner en L3. Cette fois, elle pense pouvoir entrer dans le vif du sujet. Mais en revenant, elle découvre une rédaction gangrenée par une atmosphère pesante. « Une collègue avait lancé une procédure pour harcèlement moral contre le rédac” chef. L’ambiance était irrespirable, faite de tensions et de non-dits ». Bientôt, elle aussi devient une cible. « Je me suis retrouvée écrasée par une charge de travail ingérable ». L’épuisement s’installe. Le rédacteur en chef l’épie, la surcharge, l’interrompt dès qu’elle tente d’échanger avec un collègue. « J’avais l’impression d’être surveillée comme une enfant. Chaque soir, je rentrais chez moi en larmes ». Mais à qui en parler ? À l’école, personne ne l’a préparée à affronter un environnement toxique. « Avec du recul, j’aurais dû envoyer un mail d’alarme et partir. Mais je ne savais pas si c’était normal », témoigne Lila.
Malgré les désillusions, certains y voient un apprentissage. « Même un mauvais stage a son intérêt, on découvre ce qu’on aime ou pas », admet Pauline. En troisième année de licence, elle a subi un management toxique, entre comparaisons constantes, absence de retours, missions sans encadrement et apprentissage sur le tas. Son deuxième stage n’est guère mieux. « On servait juste de main‑d’œuvre bon marché pour faire les tâches ingrates. Les entreprises doivent cesser d’exploiter les stagiaires », déplore t‑elle.
*prénoms d’emprunts
- L’établissement académique : Il ne faut pas hésiter à contacter les services de tutorat, les conseillers d’orientation, ou les responsables de stage. Ils doivent se rendre disponibles pour analyser les conflits et, souvent, ils aident à faciliter la résolution des abus ou des malentendus.
- Le médiateur d’entreprise : Dans certaines structures, un médiateur interne ou un service dédié à la gestion des conflits permet aux stagiaires de faire part de leurs préoccupations en toute confidentialité.
- Les syndicats étudiants : Des syndicats d’étudiants, au fait des droits des stagiaires, offrent gratuitement des conseils juridiques et, le cas échéant, peuvent intervenir pour garantir un traitement équitable.
- L’inspection du travail : Dès qu’un stagiaire fait face à des abus flagrants (absence de rémunération, mauvaises conditions de travail), il peut sensibiliser l’inspection du travail. L’organisme est habilité à mener des enquêtes et à sanctionner l’employeur en cas de non-respect des droits fondamentaux.