Symboliquement organisé dans l’Océan Indien, l’Inde et dix pays africains organisent leur premier exercice militaire naval conjoint. Outre la volonté marquée de contrer les velléités chinoises sur la région, il s’agit pour l’Inde de mettre en avant la relation étroite qu’elle entretient avec l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe.
Le tout premier Premier ministre indien, Jawaharlal Nehru, avait qualifié l’Afrique de « continent frère » de l’Inde, en reconnaissance de leurs longs liens d’affinité. Depuis les années 1960, les Premiers ministres indiens se sont rendus 76 fois en Afrique. Entre 2015 et 2022, New Delhi a reçu plus d’une centaine de dirigeants africains, et tous les pays africains ont reçu à un moment ou un autre un ministre indien. Un niveau d’engagement inégalé par les autres partenaires extérieurs de l’Afrique.
Plus qu’une histoire commune : la mise en exergue d’un lien de sang
En plus de leur lutte pour l’indépendance vis-à-vis du colonialisme, l’Inde et l’Afrique possèdent un facteur commun qui leur est unique : une importante et ancienne diaspora indienne sur le sol africain. De très nombreux Indiens se sont mélangés aux populations locales, pour la plupart au cours du XIXème siècle, avec de très grandes proportions, notamment en Afrique du Sud, au Kenya, ou encore en Tanzanie. Parmi ces 3 à 4 millions d’Indiens d’Afrique, la plupart descendent de travailleurs indiens sous contrat, déplacés en Afrique par les colons britanniques.

L’Inde a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne en 1947 et a joué un rôle important dans les mouvements d’indépendance de l’Afrique. Jawaharlal Nehru, sa fille qui lui avait succédé, Indira Gandhi, et son petit-fils, Rajiv Gandhi, ont reçu des dizaines de décorations dans toute l’Afrique pour leur action en faveur de la libération du continent. Ce soutien permet à l’Inde d’avancer un argument de choix pour les pays d’Afrique qui ont l’opportunité de choisir leurs partenaires : la confiance pour travailler ensemble sur un pied d’égalité, en permettant à la partie africaine d’exercer son autorité et son leadership, sans qu’il s’agisse d’une relation donateur-bénéficiaire.
Alors que les Indiens de la première génération étaient considérés comme des étrangers dans les paysages africains, les Africains issus de la seconde ou de la troisième génération d’immigrés d’origine indienne ne sont pas du tout considérés comme des étrangers. Ces indo-africains constituent généralement une part essentielle de la classe moyenne dans ces pays d’Afrique, l’émergence et la prospérité de la classe moyenne dans une société étant souvent synonyme de stabilité, ainsi qu’un développement économique et éducatif sur le long terme.
Soutien réciproque pour monter les échelons sur la scène internationale
En 2023, après un vaste lobbying diplomatique sur la scène internationale, Narendra Modi peut vanter son pays d’avoir fait intégrer de façon permanente l’Union Africaine au G20, dans le cadre du sommet de New Dehli.

« Lorsque nous utilisons le terme “Sud global” », déclare-t-il, « il ne s’agit pas seulement d’un terme diplomatique. Dans notre histoire commune, nous nous sommes opposés ensemble au colonialisme et à l’apartheid. C’est sur le sol africain que le Mahatma Gandhi a utilisé des méthodes puissantes de non-violence et de résistance pacifique. C’est sur cette base historique solide que nous façonnons nos relations modernes ».
Mais l’Inde attend également le renvoi d’ascenseur : elle espère obtenir le soutien des pays africains à la candidature de l’Inde à un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU.
Mais quels sont les objectifs indiens en Afrique ?
C’est une course aux échanges commerciaux pour les matières premières qui est engagée. L’Inde fait partie des nombreux pays qui se méfient de l’influence croissante de Pékin sur le continent. En constante augmentation, les échanges chinois figuraient en 2020 à l’équivalent de 250 milliards USD, avec une part croissante de l’exportation chinoise à l’égard de l’Afrique. À titre de comparaison : l’Inde tourne entre 50 et 80 milliards USD la même année. Malgré cela, l’Inde est le 3ème partenaire commercial de l’Afrique, après l’UE et la Chine.

Les principales exportations de l’Inde vers l’Afrique sont des produits pétroliers raffinés, de l’agro-alimentaire, des technologies et des produits pharmaceutiques. L’Afrique lui vend principalement du pétrole brut, de l’or, du charbon et d’autres minéraux. L’Inde est également le deuxième créancier en Afrique, avec des partenariats public-privé solides et des garanties protégeant les débiteurs contre le surendettement. La majeure partie de l’aide indienne est acheminée par l’intermédiaire de la Banque africaine de développement (BAD), à laquelle New Delhi a adhéré en 1983.
Si l’Inde serait « en retard » par rapport aux investissements chinois, elle aurait réussi à se construire un domaine réservé de partenaires privilégiés, en Afrique de l’Est et en Afrique australe, mais aussi dans des pays à forte valorisation minière, comme le Nigeria ou le Ghana. La proximité historique indo-africaine, le mélange de leurs populations, ainsi que leur soutien mutuel sur la scène internationale, permettent à l’Inde de s’assurer une part de marché colossal dans les échanges commerciaux qui définissent par essence les enjeux contemporains du continent africain.