Héritage de la COP29, l’idée de récompenser les acteurs économiques qui favorisent la transition écologique semblait partir d’une bonne intention. Elle fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques, notamment par des acteurs à l’initiative même de cette idée.
L’Union européenne a mis en place ce que l’on appelle un « crédit-carbone », une sorte de certificat octroyant des subventions à tout acteur favorisant la réduction des émissions de carbone. Son but : atténuer les effets de l’industrie sur le changement climatique, il s’agit de décarboner les activités les plus polluantes afin de réduire l’émission de gaz à effet de serre.
En quoi consiste le crédit-carbone ?
Selon la définition avancée par l’Union européenne, le crédit-carbone est un outil pour favoriser tout citoyen, événement, entreprise ou collectivité, qui contribue à son échelle à la lutte contre le réchauffement climatique. Tatiana Marquez Uriartes, ex-directrice générale sur l’énergie à la Commission européenne, explique : « le bénéficiaire d’un crédit-carbone dispose d’un certificat attestant que son projet a évité l’émission future de gaz à effet de serre, ou a réduit sa proportion dans l’atmosphère ».
Ce certificat a une valeur marchande propre qui permet de subventionner d’autres projets, « par exemple en défiscalisant des projets polluants des taxes écologiques auxquels ils sont soumis ». Le prix d’un crédit-carbone dépend du projet. Il est déterminé par sa nature, son coût, sa localisation, la main d’œuvre nécessaire… Ce prix est généralement compris entre 50 centimes et 50 euros la tonne de CO². « Le but est de pousser les acteurs économiques à investir dans des projets décarbonés, dans la logique du développement durable ». Pour résumer simplement : tout acteur économique effectuant une action considérée comme bénéfique pour la diminution d’émission carbone dispose d’une subvention pour financer d’autres activités, notamment polluantes.
Un système critiqué…
Là où la disposition devient polémique, c’est sur l’ouverture d’un marché du carbone, un système boursier de transactions sur lequel les crédits-carbone sont monnayés d’un acteur à un autre. « The Shift Project », le think-tank de Jean-Marc Jancovici*, est de longue date engagé pour une économie bas-carbone, et a grandement influencé acteurs privés et publics à s’emparer de la question. Pauline Brouillard, chargée de communication du think-tank, clarifie leurs perspectives sur ce dossier, qu’ils travaillent depuis presque quinze ans. « Le crédit-carbone est une idée datant des années 90. Si à l’origine l’objectif était le même, le moyen était de tout autre nature : la définition de limites strictes d’émission de gaz à effet de serre ».
Pour The Shift Project, il s’agissait d’une logique restrictive qui aurait difficilement été acceptée, et donc néfaste sur le court terme. Cependant, la solution adoptée aujourd’hui leur paraît contre-productive à plusieurs égards : « ce qui pose problème c’est la manière dont on a financiarisé le marché du carbone, en permettant à des entreprises qui font des efforts écologiques de revendre leur crédit-carbone à des entreprises qui ne réduisent aucunement leur pollution ». Cela permet par exemple à Tesla, qui vend quantité de voitures électriques, d’accumuler des crédits-carbone, et de les revendre à des entreprises automobiles européennes sur des projets purement diesel.
… par ses propres instigateurs
Plus directe dans ses critiques, l’ONG Carbon Market Watch milite pour que les transactions de crédits-carbone soient utilisées par des acteurs économiques qui effectuent bel et bien leur transition vers une société zéro-carbone, et non pas vers des entreprises polluantes (ce qui est dans le cadre légal aujourd’hui). Pour Khaled Diab, directeur de la communication de Carbon Market Watch, « le marché du carbone donne aux industries lourdes un droit à polluer, aux frais des fonds d’investissement et du contribuable ».
L’ONG a également à plusieurs reprises décrié un phénomène de « greenwashing », elle entend par cela « un procédé de marketing pour se donner une image trompeuse de responsabilité écologique ». On pourrait même, non sans une certaine ironie, comparer cela aux indulgences au Moyen Âge, où l’on effaçait les pêchés des contributeurs à la juste rémunération de leurs saintes subventions pour l’Église.
*Jean-Marc Jancovici est un ingénieur et conférencier français expert dans le domaine de l’énergie.