Des plateaux télé d’hier aux écrans verticaux d’aujourd’hui, la logique reste la même : vendre en racontant. Désormais, la frontière entre divertissement et commerce s’efface à toute vitesse : chaque vidéo peut devenir transaction.
Sur TikTok, scroller, c’est flâner dans une galerie marchande sans porte de sortie. Une crème « miracle », une lampe « aesthetic », un sac « vu partout » : en un clic, l’objet vanté par un créateur se retrouve dans le panier de milliers d’utilisateurs. Pas de publicité formelle, pas de détour par un site… L’achat se fait directement dans l’application. Bienvenue dans l’ère du téléachat 3.0.
TikTok Shop, l’étoile montante du e‑commerce
Lancé en France en début 2025, TikTok Shop transforme le réseau social en centre commercial permanent. Entre deux vidéos de chats et une recette de pâtes virale, il suffit de glisser vers la gauche pour acquérir le produit de votre choix, sans jamais quitter la plateforme. Le design rappelle celui des géants chinois tels que Temu, Shein ou encore Aliexpress : ergonomie fluide, couleurs criardes, promotions agressives. Selon l’agence We are Social, un utilisateur français passe en moyenne 38 heures par mois sur TikTok, soit plus d’une heure par jour. Autant dire que le terrain est idéal pour mêler divertissement et transaction.
Une routine beauté, un unboxing bien éclairé, un créateur enthousiaste et le geste d’achat suit, presque naturellement. Certains influenceurs sont même rémunérés directement via la plateforme. Le lien du produit s’affiche sur la vidéo, et un bouton « payer » rose fuchsia scelle la transaction. « Je découvre, j’achète, tout se passe sur la même appli. C’est pratique ! », raconte Léa, 22 ans, étudiante roubaisienne. « Parfois, je cherche directement un produit sur TikTok, il y a toujours une promo quelque part. »
Et les chiffres confirment la tendance : six mois après son lancement, TikTok Shop représente déjà 1% du e‑commerce en France. Les réseaux ne se content plus de dicter nos envies, ils redéfinissent la façon dont on les consomme.
Du conseil au réflexe
Sur les réseaux, la recommandation est devenue une monnaie d’influence. Un ton sincère, un visage familier, et l’envie d’achat s’installe. En 2025, le format du « haul », ces vidéos où l’on déballe fièrement ses trouvailles, reste un roi : plus de 487 000 publications portent le hashtag #hauls sur TikTok. On s’y compare, on se conseille, on se copie.
« Il faut vivre avec son temps ! »
« Quand quelqu’un que je suis depuis longtemps dit qu’un produit est incroyable, j’ai tendance à le croire plus qu’une pub », admet Camille, 24 ans, vendeuse en prêt-à-porter. La différence tient à cette illusion de proximité. Les consommateurs n’ont pas le sentiment de subir une publicité, mais de recevoir un conseil d’ami. « C’est notre génération, il faut vivre avec son temps ! »
Les nouveaux visages du commerce
Derrière cette mécanique, un nouveau métier a émergé : le créateur UGC (User Generated Content). Contrairement aux influenceurs traditionnels, la valeur ne repose pas sur le nombre d’abonnés, mais sur la capacité à produire du contenu engageant pour les marques. Iman, 25 ans, s’est lancée cette année : « À la base je faisais ça parce que j’aimais partager, mais maintenant j’en ai fait une part de mon activité professionnelle. » Elle, qui était influencée par le contenu qu’elle consommait il y encore peu, se retrouve à recevoir ce qu’elle convoitait : « Je n’ai presque plus besoin d’acheter de produits, les marques me les envoie pour que je les présente à ma communauté ! »
Les frontières s’effacent entre consommateur, prescripteur et vendeur. Sur les lives TikTok, on assiste à des scènes dignes d’un marché digital : des boutiques en ligne empaquettent leurs commandes en direct ; des mères revendent les vêtements de leurs enfants à prix cassé.
Quand la résistance devient tendance
Face à cette saturation, une contre-culture émerge. Les hashtags #deinfluencing et #nobuy2025 cumulent des millions de vues : leurs adeptes prônent une sobriété choisie, un recul face à la frénésie marchande.
« Avant, je me sentais obligée de poster en story tous les achats que je faisais. À force, je ne savais plus si je consommais pour moi ou pour les autres », confie Aïcha, 25 ans, serveuse à Lille. « Grâce aux vidéos de @jesuiselisux, je me suis lancée ce challenge de n’acheter que ce dont j’avais vraiment besoin. »
Le paradoxe ? Même cette sobriété devient performative. On montre désormais qu’on n’achète pas, on met en scène sa résistance comme on exhibait hier ses trouvailles.