Situé à trois kilomètres de la frontière belge et à vingt-cinq minutes de Lille, « Le Foyer » prospère depuis 1937. Une riche entité à l’héritage historique.
Dix-neuf heures trente, le soleil se couche gentiment à Bousbecque, ville de 5 000 âmes. Soudain, représenté sur un long mur, Charlie Chaplin nous observe, main dans la poche. À côté, Bugs Bunny nous salue d’un air amical. Au fond d’une petite loge, entre Laurel et Hardy plus figés que jamais, Philippe Caron, alias Fifi, est assis de biais face à l’ordinateur ; il s’assure que le film de vingt heures est prêt à être diffusé. Au programme de ce soir : la vie trépidante de Maurice Ravel retracée au travers du film éponyme Boléro.
Le sourire comme accroché aux lèvres, sa bien-aimée Chantal, jeune octogénaire, s’apprête à accueillir les aficionados du cinéma, les retraités, les jeunes couples ou les solitaires. Qu’importe. Les deux époux sont à pied d’oeuvre depuis 1971, juste après s’être mariés. La raison de cette durée ? Au « Foyer », la passion est une langue que parlent habilement une trentaine de bénévoles, et ce depuis 1937 alors même que le premier film « Ramona » était muet. « Pas besoin de mots pour transmettre l’émotion », lâche Fifi. En plus de faire partie des 1 282 cinémas classifiés Art et Essai, « Le Foyer » arbore également une scène de théâtre où s’anime une troupe de bons amis chaque année. Portant une grande affection aux mots – son fidèle dictionnaire Larousse est à portée de main – le septuagénaire raconte « prendre une semaine pour l’écriture de la pièce », pièce dont les bénéfices sont reversés à une association. La dernière en date ? A re-Bruce poil ! L’histoire du portrait craché de l’acteur américain Bruce Willis, lequel a dû arrêter sa carrière en raison de graves problèmes de santé. Miracle, son remplaçant serait tout trouvé.
Vingt heures tapantes, le film est lancé, les lumières s’éteignent. De façon dispersée, une dizaine des 282 fauteuils rouges ont accueilli leurs spectateurs. « Je vois ce lieu comme diffuseur d’art et pas comme un commerce, et j’espère bien que ça ne changera jamais », conclut vaillamment Fifi. À la sortie, un petit groupe s’amasse, le reste disparaît dans l’obscure clarté de la nuit printanière. Quoi qu’il en soit, Charlie Chaplin n’a cessé de nous zieuter. Avant de rebrousser chemin, la question est enfin posée : « quel est votre film… », l’herbe est coupée sous le pied, Fifi répond du tac au tac : « Metropolis, de Fritz Lang ». Volubile, la passion.