Face à l’interdiction depuis le début d’année des encres couleurs jugées toxiques, les tatoueurs ont pour certains fait le choix de travailler dans l’illégalité. Ils dénoncent un coût plus élevé et un manque de recul sur le rendu final. Reportage au salon du tatouage qui s’est tenu à Lille Grand Palais.
Dès l’entrée dans la salle du Grand Palais, le bruit des dermographes (instrument qui permet de tatouer) vient titiller l’oreille. L’ambiance colorée des stands des artistes tatoueurs saute, elle, aux yeux des visiteurs. Certains d’entre eux sont venus pour réaliser une pièce unique parfois sur le visage ou dans l’intérieur de leur lèvre allongés sur l’une des dizaines de tables de tatouages installées pour l’occasion. La convention internationale du tatouage de Lille qui s’est déroulée le week-end dernier a permis à des milliers de passionnés et de curieux de s’immerger dans le monde du tatouage. Sauf que ce petit monde est en émoi depuis le début d’année. certaines encres de couleurs qui contiendraient des produits toxiques sont interdites d’utilisation. Une mesure loin de faire l’unanimité dans la profession.
Certains bravent les interdits
Petit accent belge, chignon haut, impressionnante pièce de tatouage sur le cou et piercings sur les joues, Rose raconte devoir répondre aux interrogations de ses clients inquiets de ne pas pouvoir finir des tatouages déjà commencés avant l’interdiction. « Certains nous demandent si nous avons toujours l’autorisation de tatouer en couleurs » explique-t-elle. À ces questions s’ajoutent le prix des encres répondant aux nouvelles normes : « Une encre couleur qui valait 13 euros avant en vaut maintenant 25. » précise-t-elle. Elle a donc revu le prix de ses créations en conséquence. Même constat du côté d’Agathe, 26 ans qui tatoue dans son salon privé lillois. « Si j’arrête d’utiliser ces encres interdites, je ne travaille plus » peste la tatoueuse qui reconnaît travailler dans l’illégalité. Pour elle, le rendu visuel est incertain. Elle regrette le manque de recul sur ces nouvelles encres.
12 % de tatoués dans la population européenne
Du côté des tatoués, l’annonce de la toxicité de certaines encres est loin d’entamer leur motivation. C’est le cas de Caroline qui vient tout juste de se faire tatouer sur les épaules. « Ça n’a absolument rien changé à mes pratiques, je continuerai de me faire tatouer en couleurs » explique-t-elle. La seule crainte de Camille, 18 ans, était de ne pas pouvoir finir des tatouages déjà commencés. Pour ce qui est des encres utilisées, elle a toute confiance dans ses tatoueurs. Forcer est de constater que le tatouage semble avoir de beaux jours devant lui. Alors même que 12 % de la population européenne est tatouée.
Depuis le mardi 4 janvier 2022, l’utilisation de vingt-cinq pigments colorés présents dans les encres de tatouage, sont interdites. L’utilisation de 4000 substances jugées dangereuses ont aussi été limitées à des seuils très bas. Cette restriction émane de la commission européenne, à la suite d’études de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) et vise à protéger la santé. Selon une déclaration de la commission européenne, « certaines de ces substances présentent des propriétés dangereuses qui posent un risque potentiel pour la santé humaine. » Cancers, mutations génétiques, toxicité sont autant de dangers pointés par la commission. De son côté, le SNAT (syndicat national des tatoueurs) estime ces précautions disproportionnées et a mis en ligne une pétition contre ces règlementations. Manque d’alternatives, coûts plus élevés, manque de recul sur ces nouvelles encres, beaucoup de tatoueurs sont hostiles à ces mesures, alors que sept états membres ont déjà banni ces substances de leur marché.