Depuis près de 10 ans, Capucine exerce en tant que maroquinière indépendante à Lille. Elle fait partie des rares artisans lillois à créer l’intégralité de ses pièces à la main en cuir. Nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous dévoile les coulisses de son métier.
Comment vous est venue l’envie de devenir maroquinière ?
La maroquinerie est entrée dans ma vie un peu par hasard. À la base, je suis orthophoniste de formation. J’ai commencé à travailler le cuir simplement pour le plaisir, comme un loisir, sans aucune intention de changer de métier. Ce qui me manquait dans l’orthophonie, c’étaient les activités manuelles, et la maroquinerie est venue combler ce vide. J’ai tout de suite ressenti une vraie satisfaction en créant de mes mains. Peu à peu, cette passion a pris de plus en plus de place, jusqu’à devenir une évidence et, finalement, mon métier. J’ai exercé l’orthophonie pendant près de dix ans, et cela fait maintenant presque dix ans que je me suis lancée à mon compte comme maroquinière. Aujourd’hui, je me sens vraiment à ma place.

Pourquoi avoir choisi le nom Kapkréa ?
En réalité, ce nom n’a rien de très symbolique. Je m’appelle Capucine, je fais des créations… et Kapkréa est né un peu comme ça. Si c’était à refaire, je ne suis pas certaine que je choisirais ce nom-là. Mais avec le temps, je m’y suis attachée. Il fonctionne bien, il est court, visuel, et rend bien en logo, c’est l’essentiel finalement.

Parvenez vous aujourd’hui à vivre de votre activité ?
Pour être tout à fait honnête, je gagnerais bien mieux ma vie en tant qu’orthophoniste. Mon choix n’a clairement pas été guidé par des considérations financières. Vivre de l’artisanat aujourd’hui, c’est difficile. Il faut vraiment être solide et motivé. Il y a des mois, comme celui-ci [mars], où je ne me verse pas de salaire. Ce n’est pas un métier qui permet d’avoir des revenus réguliers. Mais après, il y a aussi des périodes très intenses, comme Noël, où je fais une grande partie de mon chiffre d’affaires. En amont, je passe plusieurs mois à tout préparer. Finalement, ça s’équilibre sur l’année… à peu près.
Vous disiez tout à l’heure que ce n’était pas un métier facile… Le covid a‑t-il été une période particulièrement difficile pour vous ?
Oui, clairement. Je commence tout juste à me relever de cette période. J’ai eu la chance d’être reconnue comme artisan d’art, ce qui m’a permis de bénéficier de quelques aides, mais malgré ça, ça a été une vraie galère. Pendant presque un an, je n’ai eu aucun revenu. Et quand j’ai enfin pu reprendre un peu d’activité, je suis tombée enceinte. Avoir un enfant en étant artisan, c’est très compliqué. Ce n’est vraiment que depuis un an que l’activité a retrouvé son rythme d’avant 2020. Il a fallu tout reconstruire, refaire de la trésorerie…

Comment réussissez-vous à vendre aujourd’hui ?
L’essentiel de mes ventes se fait lors de salons. Ce sont des événements clés : en un week-end, je peux vendre pour plusieurs milliers d’euros. Le reste de l’année, j’ai aussi des clients qui passent directement à l’atelier, mais ce n’est pas en vendant une ou deux ceintures par semaine que je fais tourner l’entreprise. Les salons restent donc essentiels pour moi. Mais j’ai également des commandes de professionnels. J’ai réalisé par exemple les couvertures des cartes pour plusieurs restaurants du Vieux-Lille. Ou plus récemment, j’ai été contactée par un château pour fabriquer tous les produits dérivés liés à l’édifice. Les commandes sont vraiment variées.
Pour du 100 % fait main, vos prix restent plutôt accessibles. Comment faites-vous, surtout avec la hausse générale des coûts ?
J’essaie vraiment de proposer des prix abordables, tout en gardant un bon équilibre. Pour ça, je mise sur des produits que je peux fabriquer assez rapidement. Même si le cuir est une matière première coûteuse, je fais en sorte de ne pas en gaspiller : j’optimise au maximum chaque rouleau, pour limiter les chutes et les pertes. Le prix du cuir de vache a plus que doublé ces dernières années, je le paie aujourd’hui entre 30 et 70 € le mètre carré. J’ai donc été obligée d’augmenter mes tarifs, sinon ce n’était plus viable. Heureusement, mon loyer n’a pas augmenté, ce qui m’a permis de limiter un peu la casse.

Dans un contexte où la fast-fashion fait débat, qu’en pensez-vous ?
C’est un sujet assez compliqué. Quand je reçois des catalogues avec les “cuirs tendance” du moment, ça me laisse complètement perplexe. Ça n’a aucun sens à mes yeux. Quand je fabrique un article, je le conçois pour qu’il dure des années, pas pour suivre une mode éphémère. La fast-fashion, c’est justement l’inverse : des produits portés quelques mois, puis oubliés. Si un objet est pensé uniquement pour être « à la mode », c’est qu’il n’est pas fait pour durer. Même la couleur d’un cuir, quand on est dans une démarche durable, elle doit continuer à plaire avec le temps. Vouloir intégrer l’artisanat dans les logiques de la mode rapide, c’est complètement contradictoire. L’autre problème est lié à la sous-estimation du prix de mes articles sur mesure comparé aux articles bas de gamme. Les clients ne réalisent pas toujours l’ampleur du travail que cela implique. Par exemple, rien que pour créer un patron, je peux passer une journée entière dessus. Pour que je puisse me rémunérer correctement, je dois facturer environ 40 € de l’heure. Ce qui fait que le prix des produits augmente rapidement. Malheureusement, beaucoup de clients ne prennent pas conscience de tout le travail qui se cache derrière leurs demandes.

Que pensez-vous des produits en cuir végan ?
Tout d’abord, il faut clarifier un point : on ne peut pas parler de « cuir » pour désigner des matériaux végans, car le terme « cuir » implique une peau animale. C’est une confusion qui peut prêter à débat. Je trouve les alternatives véganes intéressantes, mais il faut garder à l’esprit qu’on pourrait réduire notre consommation de viande et continuer à utiliser des peaux animales. Le problème des « cuirs » végans, c’est qu’ils sont souvent fabriqués à partir de produits pétroliers. Prenons l’exemple du cuir d’ananas : pourquoi pas, mais pour assembler les morceaux du fruit, on utilise des colles qui contiennent des produits chimiques et pétroliers. La durabilité d’un produit fabriqué à partir de ces matériaux ne sera pas comparable à celle du cuir. Certes, le cuir n’est pas considéré comme un produit écologique à cause des procédés de tannerie qui consomment beaucoup d’eau et de produits chimiques, mais il reste un matériau durable et, dans une certaine mesure, un recyclage de peaux qui ne pourraient être utilisées autrement.
Quelle part représente l’administratif dans votre métier ?
On m’avait dit un jour : « L’artisan ne passe que la moitié de son temps à fabriquer des objets, l’autre moitié étant dédiée à l’administratif. » Au début, je n’y croyais pas du tout, mais en réalité, c’est parfaitement vrai. Je passe beaucoup de temps à chercher des fournisseurs, à gérer la comptabilité, à faire des devis, à acheter du matériel… Ce n’était pas du tout prévu dans mon parcours. Je n’ai pas été formée à ça, car je n’ai pas fait d’études dans ce domaine. J’ai donc appris sur le tas, en me confrontant à cette réalité qui fait partie intégrante de l’artisanat malheureusement.

Pourquoi avez-vous décidé de proposer des ateliers en complément de votre activité ?
J’avais envie de partager mon métier avec des personnes curieuses et intéressées. Cette idée de transmission me tenait à cœur. J’avais également ce côté pédagogique qui me manquait un peu dans mon travail. Alors, je me suis dit : pourquoi ne pas lancer ces ateliers ? Finalement, ils rencontrent un petit succès. Je les organise chaque semaine. Je reçois deux à trois participants à chaque session où ils créent leur propre porte-monnaie ou leur ceinture. Cela me permet d’avoir un petit complément de revenu tout en transmettant ma passion.