L’entreprise suisse Pneumatit vend un adjuvant qui transformerait, d’après ses affirmations, le béton en béton biodynamique qui « ouvre les chakras » et qui « réactive l’énergie vitale ». Le secteur du bâtiment n’est pas le premier qui nous viendrait en tête lorsque l’on parle de produits miraculeux basés sur des croyances non prouvées. Pneumatit est pourtant bien réel et il semblerait que de l’argent public ait été dépensé pour acheter des doses de ce produit.
L’anthroposophie est un courant pseudoscientifique créé par l’occultiste Rudolf Steiner. Cette pensée réinterprète la réalité avec une vision astrale et éthérique. Sur les nombreux ouvrages que Rudolf a écrits, on peut notamment lire que le soleil aurait un estomac ou d’autres affirmations farfelues. C’est ce dogme qui a servi de base à la création de l’adjuvant Pneumatit.
Un produit à la fabrication particulière
Pour reprendre les mots de Pneumatit, sa création est « basée sur des recherches fondamentales ». D’après l’entreprise, tous les éléments le composant et les doses seraient parfaitement recherchés pour remplir une fonction et « ancrer dans le béton des forces très précises ». On peut retrouver de manière non exhaustive des médicaments homéopathiques, de l’eau, ou encore le fémur droit du geai des chênes. La création du produit nécessite d’autres détails : pour en citer quelques-uns, il faut qu’un des chercheurs lise l’évangile de Saint Jean pendant que l’autre écrase des coquillages à mettre dans la préparation ou diffuser du Jean-Sebastien Bach. La mixture finale est ensuite diluée à la manière de l’homéopathie. L’entreprise applique ce qu’elle appelle une dilution D7, c’est-à-dire qu’à la fin de la dilution, il y a environ 1 ml de produit dans 10 000 litres d’eau. Ce volume représente une gouttelette dans une piscine. Le produit est donc composé littéralement d’eau. La compagnie en est d’ailleurs assez fière puisqu’elle déclare sur son site web avec un rapport à la clé que Pneumatit a la « qualité d’une eau potable ». Les preuves sur le fonctionnement du produit ne sont pas meilleures, elles ne respectent pas le protocole scientifique. Les rapports présentés comme des preuves d’efficacité sont par exemple des tests « d’électro-acupuncture » ou de pendule ponctués avec de simples témoignages.
Une imposture qui peut coûter au contribuable
Qui achète du Pneumatit ? Parmi les constructions françaises où le produit a été utilisé, on retrouve des chantiers privés comme des caves à vins ou des maisons. Cependant, le produit qui peut faire sourire par son absurdité devient tout de suite moins drôle quand il a été acheté par de l’argent public. Le problème viendrait des éoliennes : il y a plusieurs chantiers qui auraient recouru au Pneumatit surtout pour le socle en béton de l’appareil, principalement en Bretagne et dans l’Est. On peut citer notamment Voulpaix qui aurait utilisé du Pneumatit pour 644 m³ de béton, mais aussi Grand-Champ qui en aurait utilisé pour 873 m³ de béton ou encore Cheniers et ses 368 m³. Plusieurs autres chantiers auraient utilisé du Pneumatit en France pour des volumes de béton tournant aux alentours des 160 m³. Cependant, un des plus importants est sans doute le chantier de construction éolien de Chenu avec ses 1152 m³ de béton au Pneumatit. Si l’on en croit les tarifs de l’entreprise et que l’on fait un calcul litre d’adjuvant au mètre cube, c’est donc entre 20 000 et 30 000 euros qui auraient été dépensés en adjuvant à Chenu. Le milieu de l’éolien est en grande partie payé à l’aide de subventions. La question du bien fondé de ces dépenses d’argent public peut donc se poser.
Comment cet achat ubuesque a‑t-il été rendu possible ?
L’achat de Pneumatit est dû aux géobiologues. Ce terme a une portée scientifique, mais il possède un homonyme qui entretient la confusion, puisque celui-ci est une pseudoscience dérivée de la radiesthésie. Un des ingénieurs en éolien interrogé par le créateur de contenu « G milgram » qui a été le premier à alerter sur le sujet affirme que ce sont ces géobiologues embauchés comme des experts indépendants qui préconisent l’utilisation de Pneumatit. Le problème, c’est qu’ils font partie d’une liste de spécialistes recommandée par la Chambre d’agriculture et qu’ils ont été rendus obligatoires dans certaines régions par arrêté préfectoral. C’est-à-dire que pour avoir un permis de construire, il faut maintenant missionner un de ces soi-disant experts et essayer de suivre ses préconisations. Pour résumer, en plus de coûter au contribuable, cette histoire de béton magique montre que l’État, sans le vouloir, encourage la propagation d’un discours pseudo-scientifique dans certains domaines et donne une aura de légitimité à des individus qui ne sont en rien des scientifiques. Cela participe d’autant plus à l’ancrage des croyances « new age » qui ont vu leurs nombres d’adhérents grossir suite au COVID-19. La science n’a donc pas fini de souffrir.