En seulement 20 ans, la France, pays d’agriculture, est passée du deuxième au cinquième rang mondial des pays exportateurs de produits agricoles. Et avec cette mauvaise nouvelle, un ras-le-bol dans les rues qui se manifeste depuis deux jours. Nous sommes allés à la rencontre de producteurs locaux qui témoignent unanimement d’une fatigue collective.
À seulement trente minutes de Lille, à Avelin, Jean-Michel Delannoy, 67 ans, propriétaire de La Ferme du Roseau avec son fils, est l’un des 300 producteurs d’endives du pays. Fleuron du Nord, l’endive, également appelée chicon, est une filière en danger, comme beaucoup de secteurs agricoles : « cette année, avec la pluie en novembre, où il y a eu seulement deux jours sans pluie, ça a vraiment été compliqué. Novembre, c’est la période de récolte des endives », explique-t-il. Mais si le problème n’avait été que d’ordre météorologique, Jean-Michel ne serait pas aussi fatigué. Il résume son épuisement en 4 points : « Tout d’abord, mon personnel n’en peut plus ! On travaille 80 heures par semaine et à la fin, je me paye à peine 1 000 euros si tout va bien. À ça, vous ajoutez l’énergie qui a doublé ses prix, on en a eu pour 100 000 euros d’électricité cette année. Enfin, la concurrence déloyale avec les exportateurs étrangers qui ne sont pas soumis aux mêmes règles que nous est inacceptable », se désespère-t-il. Son fils Benoît espère voir la situation changer : « si c’est encore comme ça dans trois ans, j’arrête tout, mais je mets neuf personnes à la porte. »
L’agriculture biologique encore plus dans la galère
À Ennetières-en-Weppes, à la ferme des Trois-Quenneaux, Louise s’est réorientée vers l’agriculture biologique il y a deux ans. Depuis la maraîchère constate de nombreuses incohérences : « Je n’utilise aucun phytosanitaire et cette semaine j’ai acheté de quoi soigner mes plantes et en recevant en tonne le produit, je me suis rendue compte que c’était encore pire pour la terre. Comment on fait dans ce cas ? », explique-t-elle. Un peu plus au nord, du côté de Merris, François tient une exploitation de vaches laitières biologiques. Pour lui, l’agriculture bio n’est pas assez soutenue. « On casse sans arrêt l’agriculture bio et à la place, on favorise l’importation du bio au rabais. Et les lobbies sont tellement présents pour vendre leurs pesticides, qu’il n’y a aucun intérêt à passer au bio. Quand j’ai commencé en 2015, on avait quelques avantages, mais qui avec le temps fondent comme neige au soleil. Je ne reconnais plus mon métier », soutient-il. Dans le Cambrésis, à Douchy-les-Mines, Jean-Michel, maraîcher bio, affirme se lever le matin avec deux inquiétudes : la fin du monde et la fin du mois. « La terre est toujours plus polluée et avec mes 80 heures par semaine, je n’ai que 300 euros pour vivre à la fin du mois », déplore-t-il. D’après lui, le problème ne vient pas que de l’État : « depuis la fin du covid, mon chiffre d’affaires s’est écroulé de 40% et depuis, ça ne remonte pas et ça, ça vient uniquement de la demande. Il faut que les consommateurs comprennent qu’il faut payer un peu plus cher », affirme le maraîcher. Néanmoins, il comprend le mouvement, « il faut des normes pour réglementer les phytosanitaires, mais plus simple et il ne faut pas les lâcher comme ça, il faut expliquer et accompagner les agriculteurs. L’écologie et l’économie qui sont d’apparences antagonistes et ne le sont pas du tout, regardez-nous ! »