L’inflation est un mot que l’on entend depuis près de deux ans. Partout, il est lu, interprété, réinterprété, chiffré, illustré… Chez les buralistes, même si l’inflation se fait ressentir, il est ici un autre phénomène : la consommation de tabac en berne. Réelle diminution ? Fayçal, buraliste à Lille, apporte sa lumière.
D’aucuns disent qu’il est le pouls de la société. Depuis près de deux ans, il semble pourtant fébrile. Nombre de buralistes proposent de nouveaux services pour attirer une nouvelle clientèle : relais colis, règlement de certaines factures (comme le loyer), affranchissement et dépôt du courrier… Néanmoins, l’impression d’un manque à gagner est amère. Pour Fayçal, buraliste depuis 15 ans, la baisse de consommation de tabac n’en est pas à l’origine.
Derrière la cigarette se cache la contrebande
La consommation de tabac est en chute libre, c’est du moins ce qu’affichent les chiffres : – 8% de baisse des volumes de cigarettes vendues dans le monde en 2023. De plus, l’action de certains grands industriels baisse drastiquement : ‑30 %, selon Le Figaro. Fayçal, 36 ans, dirige le Tabac Vape Drugstore, situé à proximité de la Porte des Postes, à Lille. Il tient à mesurer ces chiffres : « On constate une baisse constante des volumes de vente de tabac » précise-t-il avant d’opérer un zoom sur la pandémie de Covid-19 qui a sévi à partir de 2020 : « Néanmoins, pendant le Covid, à la fermeture des frontières, tous les buralistes ouverts ont augmenté de 30 à 100% leurs ventes de tabac. » Pour expliquer la baisse des ventes, l’équation n’est guère compliquée à résoudre : la hausse généralisée des prix. Cependant, s’est entre-temps greffée une inconnue grandissante : la contrebande. Fayçal détaille : « Cette baisse des ventes s’explique par la contrefaçon et l’augmentation des prix. Avec l’augmentation des prix, certains arrêtent, basculent à la cigarette électronique ou diminuent leur consommation. » Bien sûr, l’inflation n’arrange rien à l’affaire des buralistes, mais le trafic de contrebande croît d’année en année. Fayçal parle de « dizaines de millions de cigarettes par an, rien qu’en Europe. » Selon lui, la diminution des ventes, qualifiée de déclin historique par certains analystes, ne serait pas due à une baisse de consommation mais essentiellement « à un report massif sur les achats transfrontaliers, les achats sur le net et la contrebande. » Le buraliste déplore une perte exponentielle : « On estime ce fléau à 30% de manque à gagner pour l’Etat, et donc les buralistes », termine-t-il.
Flop à prévoir pour la vente de munitions ?
Le ministère de l’Intérieur avait validé l’expérimentation visant à autoriser la vente de munitions pour fusil de chasse. Dispositif rentré en vigueur à compter du 1er janvier 2024 dans les Pyrénées-Atlantiques pour une durée trimestrielle, il a pour but d’ajouter une nouvelle corde à l’arc des buralistes, lesquels souhaitaient depuis de nombreuses années une diversification de leurs activités. Face à cette annonce gouvernementale, Fayçal est perplexe : « La vente de cartouches de fusil, cela se fait déjà chez certains buralistes ruraux depuis des années, donc rien de nouveau sous le soleil ». Arguant qu’il s’agit davantage d’un « achat de dépannage » plutôt qu’un « business florissant », le buraliste fait le point sur le contexte lillois : « Il y a une armurerie en centre ville donc la chose sera soit interdite soit très peu rentable au regard des obligations de formation et de contrôle que l’on devra faire, sans parler des problèmes éventuels de sécurité. »
Cigarettes électroniques, un développement massif
En 2023, la France était le troisième marché mondial de la cigarette électronique, avec près de 4 millions de vapoteurs pour environ 15 millions de fumeurs, selon une étude Xerfi. Apparu en 2007, le marché est en plein essor : 1,2 milliards d’euros pour l’année 2023. Le succès est tel que, François Braun, ancien ministre de la Santé, envisageait d’autoriser les pharmaciens à en vendre. De son côté, Fayçal en profite pour tirer son épingle du jeu : « Pour ma part c’est un secteur que je développe et qui représente 10% de mon activité ». Selon lui, ce sont les cigarettes Puff qui ont engendré la démocratisation de la cigarette électronique. En raison de leur attractivité, ces cigarettes électroniques à usage unique sont très prisées des jeunes. De la « nicotine jetable » aux goûts exotiques : fruits rouges, cola cerise, mûre… Face à l’affluente consommation, le gouvernement projette d’interdire, d’ici à 2024, la vente de cigarettes Puff. « L’interdiction n’a jamais été la solution, affirme Fayçal. Il faut plutôt encadrer et réglementer car la vente de Puff est libre. Peu de formations reconnues à ce jour, elle ne sont en tout cas pas obligatoires ». Selon Fayçal, « on devrait autoriser les buralistes à en vendre, car elles sont disponibles partout… même dans les night shop les solderies, et évidemment sur le Internet. »
A la rescousse des buralistes
En octobre 2023, l’Etat mettait en place une aide forfaitaire pouvant s’élever à 2 500 euros. D’après Fayçal, l’aide de l’Etat est consubstantielle à la fixation des prix en France : « Ce que l’on demande c’est de faire une pause sur les prix via un moratoire car dans tous les pays limitrophes de la France, le prix du paquet est moins cher que le nôtre et cela parfois de moitié ». Au Luxembourg, un paquet de 20 cigarettes coûte en moyenne 5,50 euros, soit un tarif inférieur d’environ 45 % aux prix pratiqués en France. La réglementation occidentale concernant le tabac durcit d’année en année, bientôt il sera impossible de vendre des cigarettes mentholées aux Etats-Unis. La France pourrait prendre le même chemin.