Au cœur du quartier de Wazemmes, le bistrot coopératif Les Sarrazins prépare les repas suspendus du jour. À l’occasion du 70e anniversaire de l’appel de l’abbé Pierre pour les sans-abris, Steve Bontus, fondateur et gérant du bar Les Sarrazins, décrit son quotidien, entre militantisme et soutien aux personnes sans-abris.
4,2 millions. C’est le nombre de personnes privées de logement ou vivant dans des conditions très difficiles en France en 2023. La fondation Abbé- Pierre décrit cette année « noire pour les mal- logés », lors du 70e anniversaire de l’appel de l’abbé Pierre pour les sans-abris dans les colonnes d’Ouest-France, le 1er février 1954. Un combat qui résonne encore 70 ans plus tard pour Steve Bontus, fondateur et gérant du bar Les Sarrazins.
Bien plus qu’un simple bistrot coopératif, Les Sarrazins, est un lieu où règne la tolérance et l’entraide. L’ambiance chaleureuse et conviviale émane du 52 Rue des Sarrazins à Lille. La décoration colorée de rouge, ainsi que les tables et chaises en bois, donne au bistrot un caractère unique et accueillant. La musique se marie avec le brouhaha des clients, signe de vie et d’animation.
Après avoir travaillé au Café citoyen à Wazemmes, il a fondé Les Sarrazins avec deux amis. Il est aujourd’hui le seul gérant de ce bar, « l’un avait d’autres projets et l’autre est parti en voyage ! », s’exclame-t-il souriant. Le gérant aux lunettes rondes décrit Les Sarrazins comme un « bistrot coopératif de quartier ». La majorité de la clientèle habite à moins de 200 mètres du café.
Un militantisme assumé
Les Sarrazins est une Société d’Intérêt Collectif (SIC), qui se distingue des Société Coopérative et Participative (SCOP). En d’autres termes, le bistrot est une coopérative pouvant accueillir dans son capital différents sociétaires : salariés, usagers, fournisseurs et partenaires. En France, moins de 20 000 salariés sont actuellement en SIC. Ce statut gagne en popularité et connaît une croissance d’environ 15% chaque année.
Les Sarrazins sert de lieu de rencontre pour la communauté locale. Le café prête ses salles à des associations et des collectifs : « Notre but est de favoriser les échanges et les discussions, sans imposer de restrictions aux réservations de nos espaces », décrit le gérant. Au cours d’une semaine, le bistrot accueille divers événements : des réunions associatives aux soirées jeux, en passant par le théâtre d’improvisation et le Slam. Le bistrot collabore avec une cinquantaine d’associations.
L’actualité influence la vie du café. Steve Bontu ne cache pas son engagement et est conscient que l’orientation politique de son bar peut déplaire : « Nous sommes souvent associés à des valeurs de gauche, ce qui peut susciter des réactions négatives de la part de ceux qui ne partagent pas nos convictions. Cependant, nous assumons notre engagement ».
Les repas suspendus
La particularité du bistrot Les Sarrazins ? Les repas suspendus. Ce concept s’inspire des cafés suspendus en offrant des boissons aux plus démunis. Steve Bontu a remplacé les cafés par des euros, permettant ainsi aux sans-abris de choisir un plus large choix de nourriture ou de boissons, à l’exception de l’alcool. « Chaque don est enregistré sur la caisse, et nous payons la TVA même pour les repas suspendus », explique le gérant aux lunettes rondes.
Les repas sont distribués en fonction des dons des clients. La nourriture est à 6 euros au lieu de 11, et les cafés à 1 euro : « Nous réduisons voire supprimons notre marge, car il s’agit d’un acte de solidarité », assume Steve Bontu.
En 2022, le café a collecté 2600 euros, et en 2023, ce montant s’est élevé à 4500 euros. Cette initiative prend de l’ampleur dans le quartier grâce au bouche-à-oreille. Pour Steve Bontu, cette augmentation démontre une entraide collective malgré un contexte d’inflation, « lorsque l’on donne aux gens les moyens d’être solidaires ».
Pour les sans-abris, le bistrot se veut être un refuge. Steve Bontu y tient fermement. C’est un lieu où « ils peuvent se réchauffer, boire un coup, et charger leur téléphone ». Le bistrot souhaite humaniser la situation des sans-abris : « Nous essayons de ne pas être vu comme le « café des sans-abri », mais plutôt comme un endroit où tout le monde est le bienvenu », explique le gérant. Pour Steve Bontu, il n’y a aucun doute, « malgré les défis liés à la précarité, nous pensons que chaque geste compte, et nous faisons de notre mieux pour contribuer à résoudre ce problème ». Le bistrot coopératif de quartier, Les Sarrazins, fait « sa part » afin de donner le sourire aux plus démunis le temps d’un instant.