Au tribunal judiciaire de Lille, les comparutions immédiates s’enchaînent à un rythme effréné ce 18 novembre. Délits routiers, vols, trafic de stupéfiants… Et un remue-ménage soudain agite la chambre correctionnelle.
Un impact de balle sur la tapisserie. « Dans les années 80, le complice d’un prévenu avait tenté d’abattre la juge », souffle un avocat. Tribunal judiciaire de Lille, ce 18 novembre, il est 14 heures. Et la chambre correctionnelle dédiée aux comparutions immédiates n’est ni au bout de ses peines ni de ses rebondissements.
Les affaires s’enchaînent dans cette justice express. Il y a un récidiviste des refus d’obtempérer sous cannabis ; un braqueur de sacs à main qui a déjà passé plus de la moitié de sa vie en détention ; un alcoolique en rédemption qui reconnaît avoir lancé une barrière sur la voiture de son ex-compagne et molesté quelques policiers… Rappel des faits, réquisition, défense : le ballet est minutieusement rodé. Peu de place à l’improvisation et pourtant…
Pour les prévenus, leur destin est en jeu. Passé et présent se mêlent pour présenter leur vérité. Le premier s’insurge qu’on l’accuse d’avoir consommé de la cocaïne, le second implore de l’aide et demande à retourner en prison, et pour le troisième, son alcoolémie et ses angoisses au moment des faits ont pris le dessus : « J’ai frappé ma tête contre les murs, j’ai frappé ces policiers, car je ne voulais pas aller en cellule. En 2002, mon grand frère s’est pendu en détention ». Un magma de détresse humaine.
Trafic de stupéfiants aux trois ponts à Roubaix
Puis vient la quatrième affaire. La salle se remplit d’un coup. Famille, amis, le quartier des trois ponts s’est donné rendez-vous. Un trentenaire et deux jeunes de 19 ans pénètrent menottés dans le bloc. Tous sont accusés d’être au cœur d’un trafic de stupéfiants à Roubaix. « Une enquête judiciaire de quatre mois a mis en lumière votre implication dans le réseau », assène la présidente. Les trois prévenus, après une garde à vue de 96 heures, sont unanimes : ils demandent un renvoi de leur procès.
« Monsieur X, vous êtes connu avec votre frère pour proxénétisme et trafic de stupéfiants », affirme toujours la présidente. En réponse, des insultes s’égrènent sur les bancs du public. « Cette fois-ci, vous assurez n’être que la nourrice du trafic », réplique avec suspicion la procureur de la République. Le 8 novembre dernier, plusieurs centaines de grammes de cocaïne, d’héroïne, de cannabis, 75.000 euros en espèce et une arme de poing ont été retrouvés chez lui lors d’une perquisition.
Les deux jeunes ont quant à eux été repérés plusieurs fois et arrêtés sur les lieux de deal, avec en leur possession des stupéfiants. Tous deux ont des antécédents et sont passés plusieurs fois devant le juge des mineurs, pour conduite sans permis ou encore usage et distribution de stupéfiants. « Je requiers que jusqu’à l’audience les trois prévenus soient incarcérés en détention provisoire dans trois établissements pénitentiaires distincts afin d’éviter les concertations », expose la procureur. La défense plaide des antécédents psychiatriques, la jeunesse et la fragilité des prévenus : « Si on veut éviter un drame, il faut éviter la détention ». Suspension d’audience.
Incarcération, jet de cigarettes et vent de panique
Une demi-heure plus tard, les prévenus des trois ponts sont de retour. La juge est concise : leur procès est renvoyé au 22 décembre à la chambre des vacations. Et tous sont placés en détention provisoire, les mandats de dépôt sont immédiats. Le trentenaire ira au centre pénitentiaire de Lille-Annoeulin, un des jeunes à Lille-Sequedin et l’autre à la maison d’arrêt de Douai. « J’ai passé un mois à Douai, c’est l’enfer. Comment va-t-il faire ? », s’écrit un ami du prévenu. En pleurs, une mère se lève et s’écrit : « Mon fils, tu vas tenir… Par pitié, ne fais pas de bêtise ».
Et dans un même mouvement, un des jeunes, le regard noir, s’avance vers la vitre du bloc et murmure un signal, ses amis accourent. Soudain, une jeune femme lui lance un paquet de cigarettes et tous déguerpissent. « Retenez-les et fouillez-les tous », vocifère la procureur en sautant par-dessus son pupitre. Dans un vent de panique, l’audience est suspendue. Cinq policiers tentent d’arrêter les gens, et une mère hurle, « lâchez-les ! ». Dans un remue-ménage surréaliste, tous cherchent les objets illicites : « Des stup’ et un téléphone ! » En vain. La fouille du prévenu a lieu à huis clos.
La présidente réapparaît, l’audience reprend dans une ambiance électrique. Celui qui a demandé d’aller en prison jusqu’à son procès a gain de cause. « Je vous remercie », fond-il en larmes. Les deux autres sont jugés « coupables ». Treize mois ferme pour le récidiviste des refus d’obtempérer, six mois ferme avec port du bracelet électronique pour l’ex revancheur. 19h30, avenue du Peuple belge, le tribunal est désert. Seuls quelques témoins reprennent leur souffle et louent leur liberté.