À Lille, difficile d’échapper à la tentation du fast-food à petit prix. Entre la malbouffe, les applis de livraison et les repas étudiants à un euro, les jeunes jonglent entre économie et éthique. Derrière chaque commande, un dilemme : bien manger ou simplement manger.
Il est 21 heures sur la rue de Solférino. Les vitrines des fast-foods illuminent le trottoir, les livreurs défilent, sacs isothermes en bandoulière. Dans ce quartier emblématique de la vie étudiante lilloise, la “malbouffe” n’est pas un écart, mais un réflexe.
« Franchement, quand t’as fini les cours à 20 h et qu’il pleut, le tacos à 8 euros, c’est la solution », confie Léo, 22 ans, étudiant en sciences politiques. « Je sais que ce n’est pas bon tous les jours, mais je n’ai ni le temps ni les moyens de cuisiner équilibré. »
Dans la bouche de Léo comme dans celle de beaucoup d’autres, le mot-clé, c’est “budget”. L’alimentation devient un calcul permanent entre fatigue, argent et envie de mieux faire.
“Je choisis avec ma carte bleue, pas avec ma conscience”
Sur le campus de Pont-de-Bois, Sabrina, 20 ans, étudiante en lettres, sirote un soda à la sortie du RU. « J’essaie de commander des trucs un peu sains, mais entre les prix et les frais de livraison, je finis toujours par craquer pour un burger ou une pizza. »
Elle rit, un peu gênée : « Je me dis toujours que je ferai mieux demain. Mais le lendemain, c’est la même histoire. »
Chez les étudiants lillois, ce type de compromis est devenu la norme. Tous ont entendu parler de la “malbouffe”, tous savent qu’elle n’est pas anodine, mais rares sont ceux qui ont le temps ou l’énergie d’y échapper.
« C’est un peu hypocrite », reconnaît Thomas, 23 ans, étudiant en communication. « On se dit écolos, responsables, on trie nos déchets, mais dès qu’on a faim, on commande un kebab dans un emballage plastique. Je culpabilise parfois, mais quand t’as faim à 22 h, t’as juste faim. »
Les mots reviennent souvent : “culpabilité”, “contradiction”, “fatigue”. Derrière les choix alimentaires, il y a le rythme des études, les petits boulots, les journées sans pause. « J’aimerais cuisiner plus, mais après dix heures de cours, je veux juste manger vite et dormir », confie Clara, 21 ans, en école d’architecture.
Bien manger, ce n’est pas forcément plus cher
Mais tout le monde ne partage pas ce fatalisme. Pour Juliette, 21 ans, en école d’infirmiers, bien manger reste possible, même avec un budget serré : « Moi, je cuisine en coloc. On fait les courses ensemble, on prépare des plats pour plusieurs jours. Des pâtes complètes, des légumes surgelés, du riz, des œufs : ça coûte pas plus cher qu’un tacos et c’est bien meilleur. »
Elle admet que cela demande du temps, mais selon elle, la clé est ailleurs : « Ce n’est pas tant une question d’argent que d’habitude. Si tu ne cuisines jamais, forcément tu penses que c’est compliqué. Mais quand tu t’y mets, ça devient naturel. »
Une vision que partage Malik, 24 ans, étudiant en sociologie : « Les applis de livraison, c’est une facilité qu’on paie doublement : dans le portefeuille et dans la santé. J’ai arrêté de commander, et je m’en sors mieux. Je mange plus sain, et je dépense moins. »
Les alternatives existent, mais restent marginales
Pourtant, des solutions se dessinent. Au sein même de l’université, le Crous de la Catho dispose d’un espace green où sont proposés des repas équilibrés et abordables. Mais l’affluence y est telle le midi que les files d’attente interminables en découragent plus d’un.
Plus au sud de Lille, Agoraé Cité scientifique fait partie des quatre épiceries solidaires gérées par et pour les étudiants. Inaugurée début 2023, elle propose de nombreux produits alimentaires à prix réduits. Intégrée au réseau d’épiceries solidaires de l’Université de Lille aux côtés de La Campusserie, de la Moulinerie et d’Episcea, ce lieu offre aussi l’occasion de cuisiner autrement, avec des produits que les étudiants n’ont pas toujours l’habitude d’acheter.
« On essaie de montrer qu’on peut bien manger sans se ruiner », explique Claire, bénévole. « Mais on attire toujours les mêmes : des étudiants déjà sensibles à ces questions. Les autres, on ne les voit jamais. Ils courent, ils bossent, ils n’ont pas le temps. » Une fatalité que beaucoup semblent accepter. « C’est dommage, parce que cuisiner, c’est aussi un moment pour souffler », ajoute-t-elle.
Léo, lui, reste lucide : « Manger mieux, c’est facile à dire quand t’as pas les cours, le stress et un budget serré. Mais c’est vrai que si je m’organisais un peu, je pourrais sûrement faire mieux. » Un aveu qui résume parfaitement le paradoxe étudiant : entre le burger livré en dix minutes et le plat maison qui demande une heure, la question n’est pas seulement celle du prix, mais du temps, de l’énergie…