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    Affaire Fourniret : faites entrer la complice

    Elle est gigan­tesque. L’affaire Fourniret aura non seulement marqué un pays entier et des familles, elle aura aussi laissé une trace indé­lé­bile sur la surface de plus en plus poreuse du monde judi­ciaire. Depuis la mort de son ex-​mari en 2021, Monique Olivier est seule dans le box des accusés.

    C’est désormais une vieille femme. Ses cheveux gri­son­nants semblent pâlir davantage sous l’effet des flashs. Et, ils sont nombreux. Après ses deux condam­na­tions, l’une à la per­pé­tuité en 2008, l’autre à vingt ans de prison en 2018, l’ex-femme de l’Ogre des Ardennes comparaît à la cour d’assises de Nanterre, depuis le 28 novembre. Bien que son regard blême soit aussi lent que son phrasé, la mémoire de Mme Olivier va devoir remonter plus de deux décennies. Monique Olivier se trouve dans le box des accusés pour répondre de sa com­pli­cité dans l’enlèvement, la séques­tra­tion et le meurtre des trois jeunes filles : Estelle Mouzin, morte en 2003 ; Marie-​Angèle Domèce, morte en 1988 ; Joanna Parrish, morte en 1990.

    Rappel des faits

    Le jeudi 17 mai 1990, le corps nu de Joanna Parrish est retrouvé dans l’Yonne. La jeune femme a été violée. Aux poignets et aux chevilles, figurent des traces de sang et de stran­gu­la­tion ; des hématomes sur le visage ; des piqûres au creux des bras. Les deux autopsies per­met­tront de conclure à une mort par asphyxie suite à un étran­gle­ment, sans doute la veille entre 23 heures et minuit. Joanna Parrish allait avoir 21 ans, elle était ori­gi­naire d’une petite ville nommée Newnham, issue de l’Angleterre rurale. 

    Le 9 janvier 2003, Estelle Mouzin, alors âgée de 9 ans, disparaît à Guermantes (Seine-​et-​Marne). C’était en rentrant de l’école. Le 24 juin 2003, le portrait-​robot d’un témoin très important et des photos d’un véhicule uti­li­taire blanc sont diffusés à la presse. Les années passent, l’affaire piétine. En janvier 2007, la police affirme que « rien direc­te­ment ou indi­rec­te­ment » ne permet de rac­cro­cher Michel Fourniret à la dis­pa­ri­tion de la fillette. De son côté, l’Ogre des Ardennes nie en bloc. Il a fallu dix-​sept ans pour que Michel Fourniret recon­naisse sa res­pon­sa­bi­lité dans l’affaire. En mars 2020, il confesse : « Je reconnais là un être qui n’est plus là par ma faute ». C’est la juge Sabine Kheris, patronne du nouveau pôle national « cold case », qui reçoit ses aveux. Hélas, les pro­prié­tés arden­naises qu’il a indiquées ne per­mettent pas de retrouver le corps d’Estelle Mouzin. En août 2020, Monique Olivier est mise en examen pour com­pli­cité après avoir déclaré à la justice que son ex-​mari avait séquestré, violé et tué la petite fille dans la maison de la soeur défunte de Fourniret, à Ville-​sur-​Lume (Ardennes). Première preuve scien­ti­fique : l’ADN partiel d’Estelle Mouzin a été retrouvé sur un matelas saisi en 2003 dans cette même maison. Le 1er avril 2021, pour la première fois, Monique Olivier reconnaît un rôle dans la séques­tra­tion de l’enfant, précisant avoir accom­pa­gné Michel Fourniret au bord du bois d’Issancourt-et-Rumel pour qu’il enfouisse le corps de la fillette. 

    Elle avait 18 ans, elle s’appelait Marie-​Angèle Domèce. Le 8 juillet 1988, un avis de recherche est d’abord publié à Auxerre, lieu de sa dis­pa­ri­tion. Tragique déno­mi­na­teur commun avec l’affaire Estelle Mouzin : son corps n’a jamais été retrouvé. Marie-​Angèle Domèce habitait dans un foyer d’accueil, sa meilleure amie a d’ailleurs confié en exclu­si­vité à nos confrères de France Bleu Auxerre : « On ne nous a pas crues à l’époque, vu qu’on était des filles de foyer. On était des numéros, on nous a pris pour des merdes. »

    Fin 2023, le procès de Monique Olivier consiste à détri­co­ter une longue, inter­mi­nable affaire judi­ciaire afin, autant que faire se peut, de permettre aux familles d’assoir défi­ni­ti­ve­ment leur deuil. 

    La marion­nette serait-​elle marionnettiste ?

    Les familles des victimes ont un seul but : com­prendre. Pour ce faire, le caractère de Monique Olivier est passé au crible. Parce qu’il expli­que­rait son impli­ca­tion, appuie­rait ou non la véracité de ses propos, tout en les mesurant le plus adroi­te­ment possible pour n’avoir jamais réel­le­ment su éclairer ses parts d’ombre, pas moins de 7 experts psy­cho­logues ont défilé à la barre. Règne une première incom­pré­hen­sion autour d’un des tests de QI (quotient intel­lec­tuel) effectué en 2005. Elle obtient la note de 131, ce qui cor­res­pond à une intel­li­gence partagée par seulement 2,2 % de la popu­la­tion. La stupeur est grande. Immerge alors un scénario jusqu’alors impro­bable : et si c’était elle, la tête pensante ? La confusion réside dans l’expertise pré­cé­dente, datée de 2002. Cette dernière indique la note de 95. Pour trancher, la juge Sabine Khéris décide en avril 2023 de contrôler à nouveau l’intelligence de cette femme mys­té­rieuse. Trois experts lui rendent des rapports, dont le résultat est calqué sur celui de 2003 : le score est de 93, étant la zone basse de la moyenne de la popu­la­tion. La raison de cet écart est ni plus ni moins l’évolution du test de QI. Me Richard Delgenes, l’avocat de Mme Olivier depuis son incar­cé­ra­tion, estime que ce nouveau rapport permettra de « la juger pour ce qu’elle est et non pas pour le fantasme créé depuis quinze ans ». Mais les inter­ro­ga­tions à son sujet sont telles que les spé­cu­la­tions, loin du cadre stric­te­ment juridique, vont bon train : aurait-​elle fait « exprès » d’échouer aux derniers tests ? Quoi qu’il en soit, la pratique de l’expertise psy­cho­lo­gique est source de nom­breuses contro­verses. In fine, depuis l’affaire « Outreau » et les recom­man­da­tions de sa com­mis­sion d’enquête par­le­men­taire, les experts psy­cho­logues sont toujours libres de leur métho­do­lo­gie, se tenant à longue distance de la science, s’enfermant dans des poncifs répétés à l’envie. Si cet imbroglio judi­ciaire est né, les experts psy­cho­logues de l’époque ont leur part de responsabilité. 

    Hésitations constantes

    A 75 ans, condamnée déjà à deux reprises, Monique Olivier n’a plus rien à espérer de la liberté. Bien que les secrets de Michel Fourniret aient été emportés avec lui, le procès a pour vocation de les exhumer par le prisme de sa complice. La tâche s’avère néanmoins ardue tant son discours est emprunt d’une décon­cer­tante ambiguïté ; sa culpa­bi­lité ne fait aucun doute, Monique Olivier l’assume entiè­re­ment, mais toujours sous couvert de l’emprise qu’aurait exercée Michel Fourniret à son encontre. Cette emprise, c’est justement l’une des questions soulevées au cours du procès. « J’obéissais aux ordres, je sais que vous ne me croyez pas, mais j’avais peur de lui… » a‑t-​elle affirmé d’une voix presque chu­cho­tante. Entre une enfance et une ado­les­cence marquée par l’absence d’amour de ses deux parents ou encore l’échec scolaire, ce n’est qu’à l’âge adulte qu’elle a cherché « de quoi compenser ses carences ». Dépourvue de repères affectifs, Monique Olivier ne serait arrivée qu’à une solution : « c’est en se sou­met­tant que l’on devient une femme ». Alternant entre les « je ne sais pas » et les « j’me souviens plus », Monique Olivier agace, se jus­ti­fiant d’un « esprit embrouillé ». Le président Didier Safar n’est pas au bout de ses peines. Quand il s’agit d’aborder la loca­li­sa­tion précise du corps d’Estelle Mouzin et de Marie-​Angèle Domèce, la négation l’emporte encore : « je ne sais pas, si je le savais, je vous le dirais ! ». Malgré de nombreux regrets prononcés par celle qui prétend être la « complice passive » de son ex-​mari, l’issue du procès amène à l’impasse. 

    Un procès en demi-teinte

    Après trois semaines d’un procès plus cathar­tique que révé­la­teur, l’un des plus gros dossiers judi­ciaires s’apprête à se fermer. Les réqui­si­tions du procureur de la République récla­maient la prison à per­pé­tuité, assortie d’une période sûreté de 22 ans. « Au vu de la gravité excep­tion­nelle des faits commis, de la néces­saire pro­tec­tion de la société », les deux avocats généraux ont fermement maintenu leur réqui­si­toire. Le mardi 19 décembre, la sentence est tombée : Monique Olivier est condamnée à la réclusion cri­mi­nelle à per­pé­tuité, assortie d’une période de sûreté de 20 ans. La sep­tua­gé­naire ne sera libérable qu’en 2035, elle aura alors 87 ans. Reste toutefois une autre affaire cri­mi­nelle impli­quant l’Ogre des Ardennes et sa complice : l’affaire Lydie Logé, cette jeune femme de 29 ans, disparue en 1993 à Saint-​Christophe-​le-​Jajolet (Orne). Mise en examen, c’était sans doute, au regard de son âge, l’une des dernières fois que Monique Olivier s’exprimait face à une cour d’assises. L’avocat des familles Mouzin et Parrish, Me Didier Seban, parle d’un procès qui « n’a pas été à la hauteur des espoirs ». Il regrette également le retard qu’ont pris les trois affaires, ne per­met­tant pas la présence de l’auteur principal. « Vingt ans de sûreté, fina­le­ment, c’est le temps que nous avons attendu. Cette attente a fait que Michel Fourniret n’a pas été jugé pour ses crimes », a déploré la famille Mouzin. L’avocat général, Hugues Julié, martèle la lenteur judi­ciaire : « La société n’a pas permis que les deux res­pon­sables soient jugés ensemble. »

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