Ils seraient de moins en moins à boire et fumer. C’est en tout cas ce qu’affirme l’OFDT au sein de la nouvelle enquête Escapad, publiée en mars 2023. Si le nombre de consommateurs d’alcool et de cannabis diminue, la jeunesse française est attirée de plus en plus vers les drogues de synthèse, dites drogues dures. Enquête sur ce phénomène de société.
Il s’agit d’une tranche d’âge pour laquelle l’intérêt semble mince. Qui figure généralement au sein de rapports alarmants, ou d’articles clichés. La jeunesse française ne passionne pas et son monde reste incompris voire inaccessible. Dépeinte souvent comme fêtarde, usant de drogue licite (alcool,tabac etc.) ou illicite (cannabis, cocaïne, MDMA etc.). Après avoir passé deux années enfermé durant la pandémie de Covid-19, les scientifiques alertaient quant aux risques d’augmentation de consommation de drogue chez les jeunes. Si certains organismes connaissent une baisse significative, d’autres en l’occurrence révèle un changement de comportement notamment sur l’utilisation de nouveaux produits.
“De nouvelles drogues sont apparues et restent très accessibles”
Pour comprendre ce phénomène, nous décidons de contacter la Dre Alexandrine Halliez, addictologue, sur Lille. Il n’y aurait pas une nette progression des addictions ou des comportements addictifs chez les 16 – 25 ans. “Selon le rapport de l’OFDT, il y a un net recul des drogues les plus prédominantes de notre société chez les jeunes, l’alcool et le tabac”. Si ces produits socialement acceptés sont de moins en moins prisés par les jeunes, elle alerte en revanche sur un nouveau phénomène : “il est vrai que nous observons en revanche, depuis quelque temps, de nouveaux produits de synthèses, très accessibles sur internet. L’utilisation de ces produits est en hausse notamment parce qu’ils sont moins chers et très facile d’accès”. Elle pointe du doigt notamment les réseaux sociaux, nous expliquant qu’aujourd’hui il est très simple de se procurer des substances illicites à bas coût.
La journaliste Janna Nieuwenhuijzen a enquêté en début d’année, pour le magazine Vice, sur les habitudes de consommation de drogues de synthèses et ses limites. Elle révèle l’existence de groupes de chat, sur des messageries cryptées – telles que télégram, whatsapp ou snapchat – devenus des marchés parallèles de la drogue. Les dealers affichent leurs produits et leurs prix. “J’allais alors scroller dans mes messages archivés, hésitant devant la quantité d’options qui s’affichait dans le menu proposé par “KetaBro”. Mais en réalité, je savais déjà ce que je voulais. “Hé, tu peux me mettre 2 k et 1 c ?””. Après quelques échanges, la livraison est aussi rapide que la commande.
Lille, plaque tournante européenne
Cette exposition quasiment assumée sur les réseaux sociaux préoccupe les autorités publiques ainsi que les associations d’aides, notamment dans la région Haut-de-France. Publié en 2022, le rapport TREND fait état des tendances des substances psychoactives à Lille et dans la région. Zone limitrophe avec la Belgique, et les Pays-Bas, notre région est un carrefour européen notamment en matière de trafic de stupéfiants. Il révèle d’ailleurs les différents produits qui circulent ou sont stockés au sein de notre région : “Cette tendance concerne plusieurs familles de produits : les opioïdes, comme l’héroïne ; les stimulants synthétiques, comme la MDMA/ecstasy ; et semi synthétiques, comme la cocaïne ; les produits issus du cannabis, etc. Ces productions alimentent un marché ouest-européen parmi les plus importants au monde”.
Les villes d’Anvers ou de Rotterdam, véritable plaque tournante des réseaux de production, de conditionnement et de redistribution de nombreuses substances illicites, ruissellent inévitablement sur notre région. Une éducatrice explique au sein de cette enquête que “l’utilisation de Snapchat et Telegram s’observe depuis environ trois ans chez les jeunes usagers rencontrés”. Les forces de l’ordre n’ont aucun répit. Entre 2021 et 2022, des centaines d’opérations auraient permis de démanteler de nombreux de réseaux dans le secteur de la MEL, faisant baisser les points de deal de 30%. Malgré le démantèlement, les consommateurs existent toujours. Au cours de cette enquête, les forces de l’ordre n’ont pas souhaité nous répondre.
Un changement de consommation
Depuis 2010 l’Observatoire Français de Drogue et Tendances Addictive mène chaque année une enquête, auprès d’un panel âgé de 17 ans, sur ses habitudes de consommation. L’objectif de ces études n’est pas de chiffrer avec exactitude la consommation de drogue, ni de surveiller les tendances de ceux qui en prennent. L’organisme préfère se définir comme “une vigie pour la santé publique”. Son dernier rapport en date, publié en mars 2023, fait état d’un recul de la consommation d’alcool et de nicotine. Un titre repris par l’ensemble des médias français. Les données se contredisent en revanche lorsqu’il s’agit d’établir les consommation liées aux drogues dures. Selon l’OFDT, il existerait un net recul entre 2021 et 2022 expliquant que “la part des jeunes ayant expérimenté au moins une des huit substances mentionnées dans le questionnaire a été pratiquement divisée par deux (3,9 % en 2022 contre 6,8 % en 2017)”. Alors que le troisième rapport de la Macif menée par le groupe Ipsos, dresse une enquête sur une consommation relativement stable mais inquiétante (selon un panel de 3500 personnes entre 16 et 25 ans). Une augmentation positive d’un point sur les drogues illicites (cannabis, cocaïne, MDMA, héroïne), révèle qu” ils seraient 12% à consommer de l’herbe et entre 8% et 7% à consommer des drogues de synthèse. Et ce chiffre s’élève selon une étude menée en 2022 par Emevia, révélant que la jeunesse française s’intéresse de plus en plus aux drogues psychoactives : “14 % des jeunes déclarent avoir essayé l’ecstasy, la MDMA, le GHB, les poppers, le protoxyde d’azote ou le LSD » et 11 % affirment avoir pris de la cocaïne et 8 % de l’héroïne au cours de l’année passée”.
Génération désenchantée
La question reste donc en suspens : pourquoi existe-t-il un attrait pour les drogues de synthèses chez les jeunes ? Selon Marie-Cécile Gatinot, doctoresse en pharmacie, il semblerait que cet attrait soit inégal entre les êtres humains, surtout chez les jeunes. “Ce sont souvent des jeunes qui sont plus fragiles par rapport à la gestion des stress auxquels ils sont soumis. Que ce soit des stress physiques, psychologiques ou émotionnels. Que ce soit chez les jeunes femmes ou chez les jeunes hommes. Même si l’on observe un plus grand potentiel chez la frange masculine, notamment en raison de l’inhibition de la parole, ou en tout cas de l’expression des sentiments”. Ce qui est égal entre les genres, reste cette notion d’extérieur, d’échappatoire de la réalité. En somme une forme de fragilité, que l’on peut observer. En France, l’augmentation de troubles anxieux ou dépressifs a augmenté de 25% durant la période de Covid19. Et 2021, une étude menée par IPSOS-FondaMental, révèle que 30% des 18 – 24 ans serait atteint de troubles psychiques, soit 11% de plus que le reste de la population. Ces troubles dépressifs ou anxieux peuvent être, selon la Dre Gatinot, l’une des raisons d’une consommation de drogue voire d’addiction. “On sait qu’une personne atteinte de dépression va être relativement plus sensible. La perte de repères et le poids d’une réalité pesante est un des facteurs. Comme je vous le disais, la notion même de vouloir s’extraire de la réalité, d’atteindre des états d’extases ou de jouissance sont l’une des raisons principales de ces consommations. Et certaines drogues dures vont donc offrir cet échappatoire, mais pour un très court instant. Mais toutes personnes dépressives ne deviennent pas addictes”.
Le silence est d’or
Malgré certains rapports la consommation de drogue dure reste bien parmi les 16 – 25 ans. La Dre Alexandrine Halliez explique qu’il est très difficile de “comprendre l’impact de la drogue chez les jeunes puisque la plupart d’entre eux ne viendront jamais consulter un spécialiste”. Seulement 28% de jeunes consommateurs français acceptent de parler de leurs addictions à un spécialiste, nous explique-t-elle. Les raisons de ce silence sont multiples. Pour la Dre Marie-Cécile Gatinot, il y aurait une explication : “c’est très difficile pour la personne addictive et pour l’entourage. Tout d’abord l’entourage au début ne le voit pas. Notamment chez les plus jeunes. Car c’est généralement caché, notamment dans le cas de psychostimulant. Les alertes commencent généralement lorsque cette addiction devient pénalisante”. Ce point de basculement arriverait parfois plus tard, alors que la personne pense avoir le contrôle d’elle-même. Selon le baromètre des addictions de 2023, mené par une enquête de la Macif, ils sont 78% des consommateurs entre 16 – 30 à avouer qu’ils ont déjà perdu le contrôle sur leur consommation. Pourtant seulement 28% d’entre eux arrivent à parler. L’effet de groupe, ou le manque de prise de conscience n’arrête visiblement pas ces jeunes consommateurs à stopper leur consommation. Pour eux cela dépend du moment où ils ont perdu le contrôle et non de ce qu’ils consomment. Une drôle de métaphore à cette jeunesse trop souvent oubliée, dont il semble que le contrôle ou la compréhension s’éloigne de la réalité.