À Paris, la livraison est devenue un pilier de l’économie. Les camionnettes qui tournent sans cesse dans la capitale se cherchent un remplaçant.
Vers l’infini et au-delà ! Buzz l’éclair, des vaisseaux spatiaux… mais si le futur se conjuguait à vélo ? Écrire l’avenir, c’est un peu rêver par anticipation. Imaginer les défis, les fantasmes ou les besoins de demain peut se révéler compliqué. Sans horoscope, l’ingénieur du futur doit se prendre au jeu de la spéculation. C’est avec ce parti-pris que Contrepoint est allé à la rencontre des acteurs de l’urbanisation 2.0.
La société du futur a longtemps été associée aux gratte-ciels, entre lesquels des voitures se mouvraient en lévitation dans un univers de béton et d’acier. Cet héritage du cinéma hollywoodien attire-t-il toujours autant ? À l’heure où low-tech et sobriété prennent le pas sur la rentabilité à tout prix, certaines pratiques semblent condamnées à s’adapter ou disparaître.
Au tour du transport de se bouger
C’est dans le transport que les transformations apparaissent le plus nécessaires. Bien sûr, il y a les grands moyens de déplacement qui sont en cause. Avion, porte-conteneur ou camion, chacun de ces gros pollueurs sont souvent les premiers à être portés au rang des accusés. À raison, probablement. Ils gagneraient à être optimisé. Néanmoins, il existe dans le transport d’autres figurants. Des micro-pollueurs qui, par leur nombre, se font leur place dans le paysage du dérèglement climatique.
Le dernier kilomètre est réputé dans l’analyse carbone comme étant le principal émetteur. Dans les zones urbaines, le développement du e‑commerce a fait exploser le nombre de livraisons. Selon une étude du ministère de la Transition Écologique, le trafic des camionnettes a augmenté de 57 % depuis 1990, avec des émissions en augmentation de 38 %.
Pourtant, le domaine du transport bénéficie d’un certain avantage, car dans ce secteur, un grand nombre d’initiatives écologiques sont directement rentables économiquement. C’est devant cette contradiction que des entreprises, des coopératives et les services publics ont décidé d’agir. C’est le vélo cargo qui est sorti grand gagnant de la réflexion des acteurs de la néo-urbanisation.
🚴 « On estime que 70% des marchandises livrées en ville aujourd’hui pourraient l’être à vélo ». À Marseille, la société de livraison par vélo-cargo #Agilenville se développe et gagne du terrain ⤵ pic.twitter.com/sAX8NEHlxk
— Made in Marseille (@MadeMarseille) October 17, 2022
Il peut être décevant d’imaginer le futur du transport à travers un engin inventé il y a plus de 200 ans. Un avenir en moins bien, en déjà inventé… Mais si nous nous étions trompés de paradigme ? Quel crédit accorder à un développement ultra technologique qui nous met aujourd’hui au pied du mur ?
Déménager à vélo, vraiment ?
À Paris, où le transport de marchandise représente 25% du CO2 émis, une entreprise a décidé de saisir l’opportunité du vélo cargo. Des Bras En Plus. Cette société de déménagement a créé Juste Un Meuble, une initiative qui permet de transporter un meuble sans avoir recours au camion. L’observation faite par Zafar Baryali et Massoud Ayati, les fondateurs de Juste un Meuble, est que 15 à 20% de leurs demandes de déménagement ne concernent qu’un meuble, voire deux.
C’est la raison pour laquelle ils ont développé le vélo cargo comme véhicule de déménagement. Il permet aux clients qui désirent déménager un meuble d’un quartier à l’autre d’éviter de polluer inutilement. L’idée est d’autant plus intéressante qu’elle propose aux particuliers un prix avantageux. Ils pourront désormais déménager leur meuble à partir de 60€. L’offre est modulable. Il est possible de demander plusieurs déménageurs, ou au contraire, de participer à l’opération pour réduire le prix.
Cette solution fait écho à la réflexion d’Hélène Chauviré et Louise Badoche, de Carbone 4, qui expliquent que le vélo, en plus d’être moins émetteur, est plus économique que les véhicules motorisés. Selon Zafar Baryali, cofondateur de Juste Un Meuble, le vélo cargo permet d’agir « pour une mobilité responsable et accessible au plus grand nombre. »
Il ne s’agit pas pour autant de remplacer entièrement le camion. « Cette solution convient aux petits déménagements » rappelle-t-il. Pour fonctionner, la logistique à vélo, ou cyclo logistique, doit fonctionner de concert avec d’autres formes de logistique. C’est ce qu’on appelle l’urbanisme tactique. L’optimisation carbone des transports. Cela veut dire utiliser le mode de transport le moins émetteur possible en fonction de la situation.
La cyclo-logistique, pilier de l’urbanisation parisienne ?
À mesure que Paris se développe, le vélo prend de plus en plus de place. Une voie réservée sur la bordure du périphérique, une service public accentué, un mobilier urbain qui se développe : le Mairie de Paris semble s’être saisie du sujet du vélo. C’est l’avis de David Belliard, adjoint à la mairie de Paris, pour qui la cyclo logistique représente un enjeu particulier. Selon lui, ce nouveau mode d’urbanisation poursuit un triple objectif : décarboner, décongestionner et adoucir le bruit dans la capitale.
« Il y a un contexte général qui nous oblige à décarboner », affirme-t-il. La mairie de Paris a donc commandé auprès de Sogaris – entreprise de logistique urbaine durable – des « micro-hubs ». Ces mini-entrepôts sont la pierre angulaire de la cyclo logistique. Les camions y livrent leurs marchandises. Ce sont ensuite les vélo cargos qui assurent le dernier kilomètre, permettant à la capitale de s’éviter la circulation abusive de véhicules utilitaires sur ses voiries.
Pour la mairie de Paris, la livraison à vélo qui souffre de la mauvaise presse des affaires Deliveroo et Uber ne doit pas se dissocier d’un fort aspect social. C’est la raison pour laquelle elle attribue l’utilisation de ces mini-entrepôts à Olvo, une coopérative qui a fait du social sa marque de fabrique.
« Remplacer le capitalisme par une bonne sieste »
Si Des Bras En Plus s’est saisi du vélo cargo comme d’un complément pour son offre de déménagement, Olvo l’épouse entièrement. L’activité de la coopérative consiste à livrer auprès des commerçants leurs commandes. Grâce à des points de collecte bien répartis et à une logistique bien rodée, Olvo parvient à concurrencer la camionnette comme modèle de livraison.
Le fait de livrer à vélo n’est pas la seule spécificité d’Olvo. L’aspect social est au centre de ses préoccupations. Par exemple, la coopérative tient à conserver un écart de salaire faible entre ses cadres et salariés. Chacun des employés, de la com’ à la direction en passant par les commerciaux, doivent assurer au minimum cinq heures de livraison par semaine. « Ça nous permet de rester en contact avec notre activité », explique Willem, commercial.
D’autre part, la coopérative fonctionne sur le modèle de la SCOP (Société coopérative de production). Cela veut dire qu’elle permet à ses salariés d’être actionnaires majoritaires. Olvo dispose donc d’un mode de gouvernance démocratique. Ses salariés peuvent donc déposer un gérant, prendre des décisions aux assemblées générales, avoir un intéressement sur le bénéfice de la société ou avoir un accès libre à l’information.
Un seul paramètre vient ternir le tableau : d’un point de vue strictement financier, le véhicule utilitaire a toujours l’avantage sur le vélo cargo. « On ne fait presque pas de marge sur la livraison », confie Willem, donc « on a besoin de se diversifier ». Location de parties du local, de bureaux, réparation de vélo, ou vente du système de logistique « Cyke », Olvo ne manque pas de ressource pour assurer sa continuité.
Et si, dans le futur, les entreprises fonctionnaient pour rendre un service, et non plus pour capitaliser ?
« Bienvenue dans ma bat-cave »
Niels est le réparateur en chef des vélos cargo. Rien ne destinait ce réceptionniste d’hôtellerie à mettre les mains dans le cambouis et se lancer dans l’aventure Olvo. Sa mission est capitale, car elle permet d’assurer la sécurité des livreurs. Il participe aussi activement au pôle « recherche et développement », pour optimiser la praticité des vélos. C’est là, depuis sa « batcave », que Niels permet à Olvo de rouler.