Gare Lille Europe, 11 h 47. L’Eurostar a vingt minutes de retard. Mais le soleil brille dans le ciel et vient accueillir Fawzia Koofi, première vice-présidente élue de l’Assemblée nationale afghane de 2005 à 2019, et Farzana Wahidy, photojournaliste afghane, dans la capitale nordiste. Les deux femmes se connaissent depuis près de 20 ans et portent leurs combats féministes de manière très différente. La politique pour l’une, et la photographie pour l’autre.
Fawzia Koofi est une femme comme il en existe peu. Mercredi 8 février, elle était à l’Université Catholique de Lille pour une conférence qu’Inès Peltier, Said Chaibi et moi-même avons organisée. Ce n’est pas la première conférence universitaire qu’elle donne, loin de là. Il s’agit de son quotidien depuis qu’elle a fui son pays après la prise de Kaboul par les Talibans en 2021. Pour elle, il est important de sensibiliser le monde sur la situation des femmes et des filles en Afghanistan. Farzana Wahidy, l’accompagne aujourd’hui dans le cadre d’un projet photographique qui donne la parole à une centaine de femmes afghanes en exil. C’est lors d’une promenade dans le vieux Lille, et dans la salle de classe du quatrième étage du 60 boulevard Vauban, que Fawzia Koofi s’est confiée. Quant à Farzana Wahidy, appareil photo à la main, elle s’abandonnait à son projet.
Femmes déchues mais résilientes
Il aura fallu d’un mois pour que les Talibans s’attaquent aux femmes. « Les talibans sont des menteurs. Alors que je participais aux négociations à Doha, avec eux, ils promettaient de maintenir l’éducation des filles jusqu’au doctorat, et d’avoir des femmes à des postes de ministre ». Le 17 septembre 2021, ils interdisent aux filles d’aller à l’école secondaire. Depuis, c’est la descente aux enfers. Chaque mois, plusieurs décrets sont décidés, tous limitent un peu plus l’accès à l’éducation et au travail des femmes. « Avant nous avions 27 % de députés femmes. Aujourd’hui zéro. Nous avions des quotas de 40 % dans les universités réservés aux filles. À présent, il n’y a plus de filles dans l’éducation supérieure » se désole Fawzia Koofi. Même exilée, la femme politique est sur tous les fronts et se bat nuit et jour pour les femmes, mais surtout pour retrouver son pays tant aimé. Depuis sa fuite, Fawzia Koofi organise avec ses sœurs exilées, et de vaillantes femmes à l’intérieur du pays, tout un réseau d’éducation pour les filles. « Nous avons créé des classes en ligne. Nous connectons des étudiants européens avec des filles afghanes. Ils leur apprennent l’anglais, mais leur apportent aussi un soutien psychologique, car la plupart de ces jeunes filles souffrent de dépression. Nous organisons aussi l’école d’infirmière à distance. » Mais ces actions transgressent les règles des Talibans, et nombreuses des collègues de la politicienne ont été arrêtées et mises en prison. Mais rien ne l’arrêtera, Fawzia Koofi se dit même prête à négocier à nouveau avec ses bourreaux. « Je crois qu’il n’est pas possible de laver le sang avec le sang. Pour nettoyer proprement le sang, nous avons besoin d’eau, n’est-ce pas ? Pour arrêter ce carnage, nous avons besoin de négociations. »
L’Afghanistan n’aura pas de futur sans les femmes
« L’histoire future de l’Afghanistan sera écrite par les femmes. » Malgré la prise de Kaboul par les Talibans et la terrible répression que subissent les femmes, elles n’ont pas hésité une seule seconde à descendre dans la rue. Au péril de leur vie, elles demandent le droit de travailler et l’accès à l’éducation. Les hommes aussi protestent à leur manière. Le professeur Ismail Mashal, doyen de son université, a publiquement déchiré sur un plateau de télévision ses diplômes, s’indignant qu’il n’en avait plus besoin si sa fille et toutes les filles afghanes ne pouvaient plus recevoir d’éducation. Il a été arrêté par les Talibans, alors qu’il distribuait à travers différentes villes, des livres aux jeunes filles. « Les Talibans ont peur de l’éducation des femmes, car une femme éduquée veut dire, une famille éduquée et donc une société éduquée qui ne soumettra pas à leur violence. » Fawzia Koofi n’arrêtera jamais de croire au pouvoir des femmes. « Les bouts de verre brisé sont tranchants. Les Afghanes sont brisées tellement, elles souffrent et elles sont si tranchantes qu’elles seront capables de couper les mains des Talibans. »
Les femmes, au cœur de l’histoire afghane
« Le mouvement des femmes en Afghanistan n’est pas limité à celui d’après 2001, ni à celui d’aujourd’hui. » L’image que l’Occident a de l’Afghanistan est très altérée par les évènements récents et la répression talibane. Femmes obligées de porter la burqa, l’uniforme taliban, des mitraillettes à chaque coin de rue. Mais Fawzia Koofi n’a pas oublié l’histoire de son pays, une histoire de femmes puissantes. « L’Afghanistan a connu des des reines, comme Sultan Razzia, des femmes ministres dans les années 1960. » Sans oublier, que les Afghanes ont obtenu le droit de vote avant les femmes suisses. Ou cette photo si connue prise en 1972 par la photographe Laurence Braun, où des étudiantes se promenaient en mini jupe dans les rues de Kaboul. Finalement, l’histoire de la répression est courte, et ne représente pas l’Islam. « L’Islam, c’est à propos d’éducation et d’acceptation. Les Talibans, quant à eux, sont synonymes d’exclusion. »