De Thaïs d’Escufon aux « tradwives » américaines, des influenceuses ont fait de l’antiféminisme leur combat, prônant un retour aux rôles traditionnels des hommes et des femmes. Au profit, parfois, d’un agenda d’extrême droite plus ou moins assumé.
Sur tiktok, le hashtag cumule des centaines de millions de vues et hérisse le poil des féministes. Ces “épouses traditionnelles” vantent le mérite d’un mode de vie dédié à l’entretien du foyer, à leur mari, leurs enfants et leur féminité. Débarrassées des tracas du célibat ou d’une carrière à mener, ce qui leur plaît, c’est le modèle patriarcal. Elles sont surtout américaines, ont entre 20 et 40 ans et exposent leur quotidien de femmes au foyer, certaines vêtues du look typique des années 50 : rouge à lèvres, robe longue bien taillée, sans décolleté et brushing soigné.
Des féministes ultra-conservatrices ?
Loin de rejeter les avancées sociales depuis 1945, les « tradwives » revendiquent le libre choix de suivre un modèle de vie différent et exposent fièrement, par exemple, leur maternité par opposition au rejet du rôle de mère par certaines féministes. Ce mouvement est né dans les années 2010 en Angleterre avant de se développer outre-atlantique, et bien évidemment ce mouvement place le mariage au cœur de sa philosophie. Durant l’élection qui voit Donald Trump accéder à la présidence, en 2016, des femmes détournent son slogan de campagne et le transforment en « Make Traditional Housewives Great Again » (« rendre leur grandeur aux femmes au foyer traditionnelles »). Puis, lors de l’émergence du mouvement #metoo contre les violences sexuelles, la « tradwife » se pose à rebours des évolutions féministes. Conservatrice, anti-avortement et ultra-patriote, elle milite pour maintenir la famille nucléaire au centre de sa vie. On croirait parfois entendre nos petites mamies réincarnées en poupées TikTok avec filtres.
Depuis 2016, la Britannique Alena Kate Pettitt alimente un blog intitulé « The Darling Academy ». Ce dernier explose pendant la pandémie de Covid-19. Confinement oblige, de nombreuses femmes se replient sur le souvenir d’« époques doudous » perçues comme plus douces. La « tradwife » aspire à un retour à la division genrée et essentialisée des rôles, où la femme se lève bien avant son mari pour s’apprêter et lui préparer le petit déjeuner, s’occupe des tâches ménagères, fait son pain maison et éduque elle-même ses enfants. Elle leur explique comment « attirer des hommes masculins qui pourront subvenir aux besoins de leur famille », et avance que « faire passer les besoins de son mari avant les siens est le devoir d’une bonne épouse ». D’autres tradwives usent d’une esthétique plus moderne, comme Mrs Midwest qui, entre deux vidéos sur sa vie de maman, appelle à « rejeter les messages féministes ».
Pour Salomé Saqué, journaliste pour Blast, il faut se garder de juger ces « tradwives » mais plutôt essayer de comprendre pourquoi elles existent et d’observer le contexte dans lequel ce mouvement s’inscrit. Car la promesse du féminisme, c’est de dire que les hommes et les femmes accèdent à une égalité en droit, mais aussi à une égalité dans les faits. Et aujourd’hui, ce n’est pas le cas. On a les mêmes droits que les hommes en tant que femme, mais dans la réalité, on n’accède pas aux mêmes opportunités, ni aux mêmes styles de vie. Et pour ça, il suffit de regarder tous les chiffres qui concernent la pauvreté. Les femmes sont bien plus exposées que les hommes à la pauvreté. Elles travaillent dans de moins bonnes conditions, elles ont des emplois précaires, elles sont moins payées et en plus, elles continuent à porter la charge des tâches ménagères et du maintien du foyer puisque selon l’Observatoire des inégalités, 80 % des tâches ménagères en France sont toujours effectuées par des femmes.
Une mode symptomatique de la montée des idées d’extrême droite
En France, la militante d’extrême droite Thaïs d’Escufon, porte-parole de Génération identitaire de 2018 à 2021 (date à laquelle le groupe est dissous par le gouvernement), promeut cette tendance réactionnaire, même si, sur son blog, elle émet quelques réserves à propos du mode de vie des années 1950. La youtubeuse invite l’homme qui serait attiré par ce type d’épouse à se poser cette question très pragmatique : « Avez-vous les moyens d’entretenir une femme au foyer ? » Pour l’antiféministe de 24 ans, à moins de 4 500 euros de salaire mensuel, il ne faut même pas y penser, surtout s’il envisage d’avoir cinq enfants avec sa « trad wife », et de les scolariser dans le privé. Certaines se défendent d’être anti-féministes, et de toute forme de politisation. « Aucune tradwife sur TikTok ne dit que la place de toutes les femmes est à la maison, nous avons juste choisi, en tant qu’individus, d’être femmes au foyer », explique ainsi Estee Williams dans une vidéo. D’autres adaptent leur discours en fonction des plates-formes, constate Cécile Simmons : « Si on regarde le compte Instagram de Mrs Midwest, par exemple, c’est presque impossible de voir de l’antiféminisme. C’est un compte semblable à celui de nombreuses autres trentenaires. Mais sur son site ou sa chaîne YouTube, elle tient un discours anti-féministe plus articulé. » Et ce discours va parfois même plus loin. « L’anti-féminisme est une porte d’entrée vers d’autres formes de radicalisation, vers l’extrême droite, affirme la chercheuse. Mrs Midwest, qui recommande ses crèmes préférées, recommande aussi ses livres préférés. Comme, par exemple, ceux de Stefan Molyneux, un auteur suprémaciste [canadien]. »
Désormais, les « tradwives » sont un mouvement qui inquiète et qui est jugé rétrograde par les féministes d’aujourd’hui. Leur principale critique étant qu’il romantise une période où les droits des femmes étaient très limités et où beaucoup ne choisissaient pas d’être une femme au foyer. Le retentissement est tel que le Haut Conseil à l’égalité s’est inquiété dans son rapport de 2024, de la “réassignation des femmes à la sphère strictement domestique”, citant le succès de ces influenceuses d’un autre temps.