Près de huit ans après son arrestation en mai 2017, Joël Le Scouarnec, condamné à 15 ans de prison pour viols et agressions sexuelles, est de nouveau jugé. Depuis le 24 février, il comparaît devant la cour criminelle du Morbihan, à Vannes, pour des faits supplémentaires commis entre 1989 et 2014, impliquant 299 victimes, alors qu’il exerçait son métier de chirurgien.
Ce procès est historique d’abord par son nombre de victimes : 299, avec un âge moyen de 11 ans. Des enfants, donc, ce qui fait de Joël Le Scouarnec l’un des pires pédocriminels de l’histoire judiciaire française. Pendant plus de 25 ans, l’homme est parvenu à échapper aux mailles de la justice, en grande partie grâce à la minutie avec laquelle il consignait ses crimes. Un mode opératoire qui rappelle l’affaire Mazan. Là où Dominique Pelicot stockait des centaines de vidéos sur un ordinateur, Joël Le Scouarnec accumulait un dossier de 1655 pages.
Que détiennent ces centaines de pages ?
Le dossier dresse une chronologie glaçante de ses crimes avec des détails insoutenables, le tout illustré de photos et de vidéos. En parcourant ses écrits, les parties civiles et leurs avocats ont pu plonger dans l’esprit du chirurgien retraité. Il a en en effet tout noté : la date, le lieu, le nom du patient, son âge, l’hôpital où il exerçait à l’instant T, et surtout, les pratiques de chaque agression sexuelle. Dans ses « carnets noirs », comme les surnomment les enquêteurs, il se décrit comme un héros, fier de ses actes. En témoigne sa confidence du 10 avril 2024, alors qu’il livrait : « tout en fumant ma cigarette du matin, j’ai réfléchi au fait que je suis un grand pervers. Je suis à la fois exhibitionniste, voyeur, sadique, masochiste, fétichiste, pédophile et j’en suis très heureux ». Des mots qui révèlent l’absence totale de remords d’un homme qui ne reconnaissait pas ses victimes comme des êtres humains, mais comme des objets d’asservissement sexuel. Face aux preuves accablantes, Joël Le Scouarnec a reconnu « une très grande majorité des faits », selon les dernières déclarations de son avocat.
Une stratégie méthodique
Joël Le Scouarnec a exploité son statut de médecin pour assouvir ses pulsions criminelles en toute impunité. Apprécié de ses collègues, il se présentait comme un médecin bienveillant, avenant et agréable à vivre. « Il a utilisé toutes ses armes qui étaient les siennes aussi bien en termes d’amabilité qu’en terme professionnel pour pouvoir venir, revenir voire re-revenir dans les chambres », déclare Me Marie Grimaud, avocate de victimes, dans l’émission C à vous. Effectivement, la plupart de ses victimes étaient endormies au bloc opératoire ou en salle de réveil. Inévitablement, le contexte médical ôtait la capacité des enfants et adultes à réagir ou à comprendre ce qu’ils subissaient. Résultat : seule une trentaine des victimes se souvenaient des abus subis sur les 299 recensées, parmi lesquelles 111 victimes de viols aggravés et 189 d’agressions sexuelles.
Le silence institutionnel pointé du doigt
Comment a t‑il pu échapper aussi longtemps aux institutions médicales ? C’est la grande question du procès. Le médecin a pu exercer pendant des années malgré une condamnation en 2005 pour détention de 300 000 images pédopornographiques. L’Ordre des médecins, informé de l’affaire, a choisi de ne pas engager de poursuites disciplinaires. En 2008, après la fermeture de son service à Quimperlé, l’hôpital de Jonzac (Charente) le recrute sans restriction, bien que sa directrice ait été mise au courant de son passé judiciaire. « Aucune mesure n’a été prise pour éviter qu’il se trouve en présence d’enfants », dénoncent aujourd’hui les associations de protection de l’enfance.
L’Ordre de Charente-Maritime, également informé, valide son inscription en expliquant que « le Conseil a décidé qu’il n’était pas justifié d’aller au-delà, sachant que la justice ne l’avait pas suspendu ». Une position qui suscite aujourd’hui l’indignation. « Il est étonnant de voir l’Ordre parmi les parties civiles alors qu’il a fait preuve de silence aussi longtemps », fustige un manifestant devant le tribunal de Vannes. Pour Frédéric Benoist, avocat de La Voix de l’enfant, la démarche de l’Ordre est « à tout le moins moralement indécente et juridiquement contestable ».
Pas une salle… mais trois salles d’audience
Avec près de 300 victimes et 65 avocats pour les parties civiles, le problème qui se pose, c’est la taille de la salle d’audience, pouvant accueillir seulement 90 personnes. Second problème : le budget accordé au procès. Suite à d’importantes restrictions, trois amphithéâtres de la faculté de droit, situé en face du tribunal, ont exceptionnellement été transformés en salle d’audience. Les victimes déplorent un manque de reconnaissance, de considération et d’humanité. Marie-Anne, partie civile confie à Mediapart : « On est tellement nombreux qu’en fin de compte, c’est difficile d’avoir de l’empathie pour nous. Un viol est une tragédie : 300, c’est une statistique ». C’est en effet la première fois qu’un procès se déroulera sans que les parties civiles soient constamment face à l’accusé et aux juges. Un choix qui a profondément choqué l’opinion publique.
Le temps du procès et les risques encourus
Le procès, qui s’étendra jusqu’au 20 juin prochain, mobilisera quotidiennement près de 500 personnes, dont 264 journalistes issus de 62 médias internationaux. Joël Le Scouarnec encourt la peine maximale. Effectivement, selon l’article 222 – 23 du Code pénal, le viol est puni de vingt ans de réclusion criminelle « lorsqu’il est commis sur une personne particulièrement vulnérable – en raison de son âge, d’un handicap ou d’une maladie – ou lorsqu’il est perpétré par une personne ayant autorité sur la victime, comme un ascendant ou un soignant ». Aujourd’hui, son ex-femme et ses trois fils prendront la parole à la barre. Dans une lettre, l’un de ses fils a déjà confié auprès de France info que « la chute [avait] été vertigineuse quand [il a] appris toutes ces horreurs ». À suivre…