Sur les cartes postales, Milos brille comme un joyau des Cyclades. Falaises de craie, criques turquoise, silence éclatant. Mais derrière cette beauté presque irréelle, l’île grecque suffoque lentement sous le poids d’un tourisme devenu envahissant. Ici, la ruée vers les hôtels de luxe menace un équilibre naturel et culturel vieux de plusieurs millénaires.
Sarakiniko, la plage lunaire en danger
C’est une victoire symbolique, mais fragile. En septembre dernier, les autorités locales ont rejeté un projet hôtelier de luxe à proximité de la célèbre plage de Sarakiniko, surnommée « la plage de la lune » pour ses roches blanches sculptées par le vent. Le projet prévoyait la construction d’un complexe cinq étoiles, piscine à débordement et spa, sur un terrain semi-protégé.
Le conseil municipal, soutenu par des habitants et des associations environnementales, a estimé que le chantier « compromettrait la biodiversité et la préservation du paysage naturel ». Une décision saluée par les défenseurs de l’île, mais qui ne cache qu’une partie du problème. « On a gagné une bataille, pas la guerre », soupire Yannis, 50 ans, natif de Milos et propriétaire du principal club de plongée de l’île. « Chaque année, de nouveaux investisseurs arrivent, séduits par l’idée de transformer Milos en une nouvelle Santorin. Mais notre île n’est pas faite pour accueillir des milliers de visiteurs à la fois. »

Un paradis sous pression
Depuis la pandémie, Milos a connu une explosion du tourisme. Entre 2019 et 2024, la fréquentation a augmenté de plus de 60 %. Les infrastructures, elles, n’ont pas suivi : routes saturées, déchets mal gérés, nappes phréatiques fragilisées.
Sous la mer, les coraux blanchissent. Sur terre, les dunes s’érodent. Et dans les ruelles des petits villages comme Pollonia ou Plaka, les habitants craignent de voir disparaître l’âme de leur île.« On voit des gens qui construisent sans permis, qui bétonnent les falaises pour ouvrir des villas avec vue, raconte Yannis. La mer, ici, c’est notre vie. Mais si elle devient une marchandise, on perd tout. »
Un tourisme qui consomme plus qu’il ne découvre
L’essor des réseaux sociaux n’a rien arrangé. Sarakiniko est devenue une star d’Instagram, attirant des milliers de visiteurs chaque jour en haute saison. Peu prennent le temps d’explorer le reste de l’île, de comprendre son histoire minière, sa faune unique ou ses grottes sous-marines.« Certains viennent, prennent une photo, repartent. C’est le tourisme du clic, pas celui du cœur », déplore Yannis.
Pour lui, le salut passe par une autre manière de voyager. Depuis dix ans, il organise des excursions de plongée écoresponsables : petits groupes, zones non protégées, sensibilisation à la biodiversité marine. Son club collabore désormais avec des biologistes marins pour étudier les impacts du réchauffement climatique sur les fonds marins de Milos.
Un modèle à repenser
Les autorités locales ont promis de mieux encadrer les constructions hôtelières et de renforcer les contrôles. Mais face à la pression des investisseurs étrangers, la tâche s’annonce herculéenne.« Les grands groupes parlent d’écotourisme juste parce qu’ils plantent trois oliviers à côté de leur piscine, ironise Yannis. Ce n’est pas ça, la durabilité. La vraie, c’est de vivre avec la nature, pas de la consommer. »
À Milos, les habitants oscillent entre fierté et inquiétude. Fierté d’appartenir à une île au patrimoine exceptionnel, inquiétude de voir ce trésor s’éroder sous les pas d’un tourisme de masse.
Un jour, peut-être, Milos deviendra un modèle de tourisme durable. En attendant, ses défenseurs comme Yannis continuent de protester et d’espérer.« On ne veut pas interdire aux gens de venir, conclut-il. On veut juste qu’ils comprennent ce qu’ils voient. Milos, ce n’est pas un décor. C’est un être vivant. »