Le 9 novembre, Netflix diffusait la cinquième saison de la série la plus plébiscitée de sa plateforme : the Crown. Si les premières saisons s’attachent à retranscrire des faits historiques quasi identiques, il semble que le drame soit devenu trame principale quitte à faire fi de la vérité.
Qu’il est triste de voir une série s’éteindre lentement, se déliter de ses charmes, de sa force. Le constat est clair, la nouvelle saison de the Crown, créée par Peter Morgan, se roule dans la fange du divertissement. Préférant nier les faits et créer des scènes illusoires mettant pourtant en scène des personnages réels. Il est dangereux de jouer avec la vie des gens, encore plus lorsque l’on évoque celles de chefs d’État. Il n’est pas question de biopic, où la romance aurait sa place pour des raisons scénaristiques. Les showrunners jouent avec le passé, le manipulent, pour transformer leur projet en une satire dénuée de forme ou de fond. Les deux précédentes saisons manquaient déjà de recherches sur les années 70 – 80 du règne de la reine Elizabeth II. Maquillant ces lacunes par des raccourcis de temporalité pour tenir en haleine un public, qui en majorité voit cette production comme un miroir de la réalité. Mais que devient le miroir lorsque celui se transforme en un vulgaire récit, quasiment visé envers l’institution britannique ?
Une identité perdue
Dès les premières minutes de l’épisode un, sautant aux yeux, l’identité visuelle et scénaristique est troublante. Pensant qu’un second souffle fut apporté, par la recherche d’un angle différent de réalisation, ce sont au final des notes fausses qui s’accumulent. La cinquième saison s’intéresse à “l’Anus Horribilis” du règne d’Élizabeth II. Année clé marquant un tournant pour la famille royale, 1992 est celle du délitement. Leur simple évocation résonne encore dans le cœur de bon nombre de Britanniques. Le challenge de la production était alors de retranscrire cette accumulation de faits pour en tisser la trame. Que les premières saisons sont loin ! Car oui cette saison 5 révèle ce qui depuis quelques années devient réalité. The Crown était au départ le huis clos d’une famille régnante traversant des bouleversements historiques. Elle était le trou dans la serrure du palais de Buckingham. Ovationné pour sa justesse, son rythme et son casting, elle apparaissait comme une série de référence. Elle expliquait le symbole même de cette institution et la dualité qui existe entre le rôle de représentation et l’humanité de ces gens. Tel était son principe. Une pierre angulaire délogée, qui aujourd’hui se révèle manquante. Le rythme est saccadé, souvent flou, liant avec rapidité des faits qui n’ont aucun lien entre eux. La sobriété de l’image n’existe plus, elle devient pompeuse quasiment vulgaire. La finesse a laissé place au grossier. Un travail bâclé qui se ressent notamment dans l’écriture. Les dialogues sont pauvres, installant une forme de lassitude. La connaissance des faits nous éloigne sûrement de la vision voulue par le réalisateur. Mais l’on ne peut pas nier le fait qu’il existe un fossé entre le début de la série et sa nouvelle saison. Tout paraît faux, un décor de carton-pâte dont on perçoit les trucs et astuces. Les costumes n’ont aucun charme, laissant paraître une famille royale quasiment moyen-classe. Nombreux sont les moments où je me suis demandé si je regardais the Crown ou the Windsor (série parodique produite entre 2016 et 2019). Et c’est là que le bât blesse, le spectateur n’est pas censé voir une parodie, mais le récit imagé de la réalité. Et ce manque de profondeur passe avant tout par le choix du casting.
Un casting sans grande profondeur
Depuis 2019, aucun acteur n’arrive à égaler le jeu de Claire Foy (Elizabeth II), Matt Smith (le Duc d’Édimbourg) et Vanessa Kirby (la Princesse Margaret). On cherche la justesse, la profondeur et l’investissement qu’il pouvait exister dans le casting initial. La particularité de the Crown est de renouveler l’entièreté de l’équipe artistique toutes les deux saisons. Suivant une évolution chronologique sur deux décennies. Cette stratégie scénaristique, très intelligente, était normalement prévue pour conserver l’attrait du spectateur. Mais comment peut-on oublier la trame principale, en donnant le rôle à des têtes d’affiches, qui ne reprennent pas le fil tissé par le premier casting. Cela déroute tout simplement le public. Et pour ce cinquième opus, on peut dire que c’est le combo gagnant. Il faut tout de même reconnaître que le jeu d’Imelda Staunton (Elizabeth II) est plus fidèle à la réalité, et s’accapare des traits posés par Claire Foy. Contrairement à Olivia Colman qui malgré son talent, nous dépeint plutôt un caniche triste qu’une souveraine quadragénaire. Elizabeth Debicki, en qui les espoirs étaient placés, incarne une Diana proche de la réalité. La faiblesse reste l’interprétation manquant de justesse. L’on ne voit qu’une Princesse de Galles triste, effacée, effleurant sa personnalité ambiguë et calculatrice. Elle est placée en victime, agneau blanc sacrifié sur l’autel médiatique. Sans évoquer son implication délibérée dans la création de ce personnage fantasmé par les médias. Un point de vue historique qui n’est absolument pas traité ! Pour ce qui est du reste de l’équipe, aucun ne fait preuve de profondeur. L’on passe rapidement sur l’interprétation plus qu’effacée du Prince d’Édimbourg par Jonathan Price. Qui, comme son prédécesseur Tobias Menzie, ne fait office que de bouche troue lorsque les scénaristes n’ont plus d’idées. Depuis la saison 4, le personnage est au centre d’un épisode, sans aucun attrait et dont le récit est biaisé, émettant des doutes sur la réalité décrite. Comment ne pas évoquer l’oubli progressif du personnage de Queen Mum, brillamment interprété dans les saisons 1 et 2 par Victoria Hamilton. Qui dans les deux saisons suivantes fait office de potiche, ayant quelques répliques pour faire comprendre qu’elle existe toujours. Et qui dans cette nouvelle saison paraît pour une sénile, que l’on promène tel un sac à main. Un goût d’amertume qui au fil des ans ne passe pas.
Une production à l’égal du deepface : faux
Depuis deux semaines environ, les nombreuses promotions de la série, menée par Netflix, expliquent les backstages et la préparation des acteurs. Cette nouvelle communication doit nous faire comprendre une chose : les producteurs sont embarrassés par la polémique qui enfle autour de leur show emblématique. Ils peuvent s’efforcer de nous montrer comment les costumes, les perruques où l’accent des acteurs ont été travaillés pour coller au plus près de la réalité. Leur production est malheureusement l’équivalent d’un deepface : faux. Il n’a pas fallu attendre que John Major (Premier ministre britannique de 1990 à 1997) ou Tony Blair (Premier ministre britannique de 1997 à 2007) prennent la parole, dénonçant la supercherie qu’est devenu the Crown. Ni même dame Judi Dench, demandant aux réalisateurs de placer une mention spéciale pour reconnaître que la série est une romance inspirée de faits historiques, pour comprendre que cette nouvelle saison est un tissu de mensonges. Le plus troublant est la vision projetée sur le personnage du Prince Charles. Peter Morgan dépeint son personnage comme quelqu’un de froid, calculateur et ambitieux. Dominic West interprète un homme prêt à tout pour arriver au pouvoir. Une vision biaisée de l’homme qu’est Charles III, dangereuse même, alors que l’Angleterre se remet doucement de la mort de son ancienne souveraine. Il est connu du grand public que le réalisateur est un fervent défenseur de l’abolition monarchique. Son message perd du sens lorsqu’il use sciemment du mensonge. Inventant des événements, des discussions qui n’ont jamais été menées dans la réalité. Ce regard corrosif, méchant voir calculateur tissé dans une toile de manipulation historique n’est pas sans conséquence. The Crown se devait être le reflet d’événements de l’histoire britannique, par l’étude de l’intimité de famille royale. En devenant un satyre vulgaire, le réalisateur détruit son œuvre qui aurait pu être brillante. Elle s’avère finalement poreuse. Le problème qui se pose aujourd’hui est lié à la jeune génération. Qui ne connaît que très peu ces événements. La série joue donc le rôle de récit historique, alors qu’elle ne l’est pas. En jouant avec les mots, les faits et en romançant la vie de personnes ayant existé ou vivant encore. Cette manipulation se révèle au grand jour. Une déception immense qui se lit au travers de chaque épisode, devenant de plus en plus risible. En un mot c’est une saison “Horribilis”.