Depuis le 9 septembre, la scène politique française semble prise dans une forme d’apnée institutionnelle. Alors que les défis économiques s’accumulent et que les tensions sociales s’exacerbent, une question revient avec insistance dans les cercles intellectuels et médiatiques : la Ve République est-elle encore capable de répondre aux exigences démocratiques du 21ème siècle ?
La destitution de François Bayrou, après le rejet du vote de confiance le 8 septembre, puis la démission de Sébastien Lecornu, ce 6 octobre, ont marqué un tournant. Deux événements rares, qui ont mis en lumière les failles d’un système politique vieillissant. Le pays, déjà affaibli par les innombrables motions de censure, crises gouvernementales et manifestations, semble vaciller sous le poids d’un système institutionnel à bout de souffle.
Une République en apnée
La Ve République, conçue en 1958 pour garantir la stabilité après les errements de la IVe, repose sur un pouvoir exécutif fort. Mais cette verticalité, autrefois gage d’efficacité, semble aujourd’hui entraver la capacité d’action. Comme le souligne Jean-Pierre Jouyet, ancien secrétaire général de l’Élysée, dans l’émission C dans l’air : « Il est important de trouver des compromis aujourd’hui si nous voulons sortir d’une des crises politiques les plus graves de la 5e République ». Une déclaration qui met en lumière l’essoufflement d’un système fondé sur la concentration du pouvoir, désormais en décalage avec les attentes démocratiques contemporaines.
Le président nomme, le Parlement résiste, et les Premiers ministres tombent les uns après les autres. Avec sept chefs de gouvernement en huit ans, Emmanuel Macron égale le record de Mitterrand, mais dans un climat de fragilité politique croissante. Le Parlement peine à jouer son rôle de débat et de contrôle, les partis politiques se fragmentent, et les corps intermédiaires sont marginalisés. Mais cette concentration du pouvoir entre les mains du président et de son gouvernement semble aujourd’hui produire l’effet inverse : une paralysie politique. « Je crois que l’hyperprésidentialisation s’est accentuée au cours de ces dernières années », note Jouyet, avant d’ajouter : « Ce président semble […] vouloir montrer qu’il est au centre d’une cour, tel le Roi-Soleil » (L’ombre du général, Albin Michel, 2023). Une critique qui illustre le décalage entre la verticalité du pouvoir et les attentes d’une société en quête de représentation. Résultat : une démocratie qui fonctionne sans véritable respiration collective.
Vers une réforme ou une refondation ?
Au-delà des institutions, c’est le lien entre les citoyens et le pouvoir qui s’effrite. Le taux d’abstention dépasse les 55 %, et les mobilisations sociales, comme celles du 18 septembre, traduisent une colère sourde. Pourtant, ce n’est plus la défiance qui domine, mais l’indifférence. Les Français ne croient plus que leur voix puisse influer sur les décisions. Jean-Pierre Jouyet observe : « Il y a une véritable lassitude de nos concitoyens face à ce qui peut se passer […] Ce sont des colères ajoutées aux colères qui peuvent s’envenimer et aboutir à des situations qui déstabilisent le régime. »
Le débat sur une VIe République refait surface. Gabriel Attal, dans son discours à Arras, propose une « nouvelle République démocratique » avec référendums réguliers et réduction du nombre de parlementaires. Mais les résistances sont fortes, et les réformes institutionnelles restent souvent lettre morte. Pour Jouyet, « la Ve République n’est pas morte, mais elle est en crise de sens ». Il appelle à repenser le compromis démocratique : « Il est important de trouver des compromis aujourd’hui si nous voulons sortir d’une des crises politiques les plus graves de la 5e République ».