Emmanuel Macron a salué « une figure du siècle, une conscience républicaine, l’esprit français ». Le père de l’abolition de la peine de mort s’est éteint dans la nuit du jeudi 8 au vendredi 9 février, à l’âge de 95 ans.
95 ans de vie qu’il serait difficile de résumer en une phrase. Robert Badinter a eu mille vies, mille combats, mais celui que l’on retient : son inlassable opposition à la peine capitale. Revenons sur la vie d’un immense homme politique français.
Né en 1928 dans une famille juive, Robert Badinter connaitra, comme beaucoup d’enfants de sa génération, la déportation de son père. Raflé par la gestapo, Samuel, dit Simon Badinter sera d’abord placé au camp de Drancy, puis il mourra au camp de Sobibor. Une partie de sa famille connaîtra le même sort : son oncle, sa grand-mère… Mais Robert Badinter parvient à trouver refuge avec sa mère sous le faux nom de Berthet. C’est à partir de ce moment qu’il débute des études de droit.
Le combat d’une vie
Robert Badinter est connu pour être avocat, universitaire, écrivain, ministre, sénateur… Mais d’où provient sa conviction profonde que la peine de mort doit disparaître de la justice française ? Car bien avant lui, des intellectuels avaient aussi tenté de supprimer cette peine. De Cesare Beccaria à Aristide Briand, en passant par Voltaire, Lamartine, Victor Hugo et Jean Jaurès, ils ont tenté, en vain, d’abolir la peine de mort.
Pour Robert Badinter, c’est sa carrière d’avocat, et peut-être son histoire familiale qui explique cette conviction. En 1972, il défend Roger Bontems, jugé pour complicité de meurtre. Ce dernier, alors détenu à la maison centrale de Clairvaux, avait pris en otage avec Claude Buffet une infirmière et un surveillant. Ils seront retrouvés morts, égorgés. L’avocat Badinter a plaidé pour son client, sans relâche. Mais celui-ci a été condamné à mort et exécuté. Robert Badinter a tenu à assister à l’exécution de Roger Bontems, et c’est ce moment qui marque un tournant dans sa vie. Dans ses ouvrages, il explique : « les jurés ont dit « il n’a pas tué », ils l’ont condamné à mort et il a été exécuté. À partir de ce moment-là, j’ai dit que tant que je vivrais, je combattrais la peine de mort ».
Dans le registre des plaidoiries qui ont marqué l’histoire judiciaire française, il est impensable de ne pas évoquer celle de Robert Badinter au procès de Patrick Henry. Ce dernier est jugé pour le meurtre de Philippe Bertrand, sept ans. Dans sa plaidoirie de défense, l’avocat interpelle les jurés : « si vous votez comme monsieur l’avocat général vous le demande, vos enfants sauront que vous avez un jour condamné à mort un jeune homme. Et vous verrez leur regard ! » L’essentiel pour Robert Badinter était d’éviter la peine capitale à son client. Ainsi, Patrick Henry sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
Mais les convictions de Robert Badinter sur la peine de mort n’étaient pas celles de l’opinion publique. Lettres de menaces, de haine, d’insultes… Malgré cela, Robert Badinter continue de sauver des hommes de la mort.
C’est lorsqu’il devient ministre de la Justice en 1981 qu’il fait de l’abolition de la peine de mort, son combat principal. Son mythique discours devant l’Assemblée nationale le 17 septembre 1981 marquera les esprits. Pendant deux heures, le garde des Sceaux livrera une bataille acharnée, à coup d’arguments infaillibles. Le texte sera finalement adopté le 18 septembre 1981 : 486 députés, 363 voix pour, 117 voix contre. Elle devient la loi n°81 – 908 portant abolition de la peine de mort, promulguée le 9 octobre 1981.
La cause homosexuelle
Robert Badinter s’est également engagé dans la cause homosexuelle. Aux côtés de Gisèle Halimi, il clame que « il n’est que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels ». En effet, l’homosexualité était punie par la loi, parfois par de la prison. Grâce à la loi Forni (président de la commission des lois Raymond Forni) du 4 août 1982, la France met fin à des décennies de discriminations. Dans l’actualité, le sénateur socialiste Hussein Bourgi a déposé, en 2023, une proposition de loi visant à donner une réparation aux personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982. On en compterait entre 10 000 et 50 000. La responsabilité de l’État français a été reconnue, en revanche, la proposition de réparation financière n’a pas été retenue.
Robert Badinter a voué sa vie à ces causes. Après sa carrière politique au sein du gouvernent, il est nommé président du conseil constitutionnel, puis il devient sénateur socialiste. Il n’a cessé de lutter pour des combats, jusqu’à sa mort. Un hommage national lui a été rendu ce mercredi 14 février au ministère de la Justice, à l’Hôtel de Bourvallais où il a travaillé. Le président de la République, lors de son éloge funèbre, a déclaré que le nom de Robert Badinter sera inscrit au Panthéon : « Alors s’ouvre le temps de la reconnaissance de la nation, aussi votre nom devra s’inscrire avec ceux qui ont tant fait pour le procès humain et pour la France et vous attendent au Panthéon ».