Reconnue comme cinquième cause de mortalité par l’Organisation mondiale de la Santé, l’obésité continue de gagner du terrain. Une récente étude, parue dans la revue scientifique internationale « The Lancet » met en relief un chiffre : un milliard de personnes dans le monde serait touchée.
Bien que les idées préconçues disparaissent progressivement des esprits, nous avons tous déjà entendu une parole malheureuse à propos d’une personne de forte corpulence. Peut-être l’avons-nous même pensée. Et pourtant, l’obésité est une maladie chronique de la nutrition. Certes, les progrès scientifiques précisent les découvertes et engrangent des avancées, les traitements, parfois dangereux et souvent onéreux, prolifèrent sur un marché en pleine expansion ; il n’en demeure pas moins vrai que l’obésité est d’autant plus redoutable qu’elle tait son nom.
Une hausse constante
La barre symbolique a été dépassée : un milliard de personnes serait touchée par l’obésité, selon une récente étude menée par la revue scientifique internationale The Lancet. La situation à l’échelle nationale n’est guère meilleure : 47,3 % des Français seraient obèses ou en surpoids, soit presque 24 millions de personnes, selon l’étude Obépi-Roche de 2020. Si la tendance semble ralentir légèrement, elle reste préoccupante. Entre 1997 et 2020, le nombre de cas d’obésité est passé de 8,5 % à 17 %. Parmi ces Français, un million sont atteints d’obésité « massive », c’est-à-dire que leur indice de masse corporelle (IMC) est supérieur à 40. Encore une fois, la prévalence a augmenté entre 1997 et 2020, passant de 0,3 % à 2 %. Il se trouve que notre région n’est pas épargnée, elle accuse le pire taux d’obésité : 22,1 %. A titre comparatif, la moyenne nationale se situe à 17 %. Un regard démographique est alors jeté sur cette maladie. On remarque en effet, qu’en moyenne, l’obésité touche davantage les classes sociales les moins aisées : les ouvriers (18 %) et les employés (17,8 %). Quant aux cadres, 9,9 % y seraient sujets. Et nos enfants, comment vont-ils ? Hélas, les statistiques sont de mauvais augure. L’Agence régionale de la santé (ARS) indique que 5,7 % des élèves de sixième de la région sont obèses, 16 % en surpoids. L’obésité attaque même les plus petits : l’étude nationale Obépi note que 18 % des enfants âgés de 2 à 7 ans sont obèses, 6 % des 8 – 17 ans. Autre augmentation chez la tranche 18 – 24 ans, passant de 5,4 % en 2012 à 9,2 % en 2020. La récente publication de The Lancet estime que les cas chez les enfants ont été multipliés par quatre en trente ans.
Origine sociale, génétique et éducationnelle
Le professeur Philippe Froguel est reconnu mondialement pour ses découvertes de gènes responsables de certaines formes d’obésité. Il a répondu à nos confrères de La Voix du Nord, et ses explications sont tout aussi limpides que saisissantes. Lorsqu’il est interrogé sur la lien de causalité entre obésité et la région Hauts-de-France, le spécialiste lie la maladie nutritive au taux de pauvreté, lequel est élevé dans notre région. Ainsi « les enfants d’ouvriers sont cinq fois plus obèses que les enfants de cadres ». Le manque d’activité sportive et la mauvaise alimentation sont aussi des éléments clés. Philippe Froguel met néanmoins le doigt sur un sujet intéressant : le manque, voire l’absence, d’éducation nutritionnelle : « il y a un problème de comportement, une méconnaissance », confie-t-il. L’éducation nutritionnelle englobe un ensemble d’activités éducatives et de sensibilisation visant à améliorer la compréhension des individus sur les aspects nutritionnels et les facteurs influençant leurs choix alimentaires. Si le professeur insiste sur cette notion, c’est parce qu’il « ne faut pas oublier que la moitié des enfants obèses deviennent des adultes obèses. L’obésité du petit enfant est réversible mais cette période de réversibilité est comprise entre 5 et 12 ans ». Passé cet âge, la perte de poids devient « très difficile ». Si la génétique est un terrain propice pour l’obésité, il n’y a cependant pas de fatalité. « On dit pour vulgariser que l’obésité est à 70 % génétique car, à environnement égal, les variations de poids d’un individu à l’autre s’expliquent à 70 % par la génétique. Mais il n’y a jamais de ‘’forcément’’ ».
L’hormone de la satiété
Le noeud du problème, sinon l’un d’entre eux. Le jargon scientifique l’appelle leptine, nous l’appellerons « hormone de la satiété ». Cette hormone est responsable de la régulation des réserves de graisses dans l’organisme et l’appétit en contrôlant la sensation de satiété. Nous la connaissons tous, cette fameuse envie d’engloutir un hamburger ou de casser inopinément le chocolat de sa tablette. L’hypothèse de départ est que la leptine joue un rôle prépondérant pour aider les personnes saines à rester minces. Paradoxalement, les souris obèses et les personnes obèses qui n’ont pas le gène de l’obésité ont presque toujours des taux élevés de leptine. Les chercheurs ont donc conclu que ces taux étaient synonymes de résistance à la leptine, similaire à la résistance à l’insuline observée dans le diabète de type 2. Mais si les récepteurs spécifiques de l’hypothalamus sont sollicités par cette fameuse hormone, cette dernière ne provoque pas un amaigrissement, elle limite la prise de poids en provoquant la sensation de satiété.
Demain, tous minces ?
Les incertitudes sont bel et bien là, mais les applaudissements des patients et des médecins camouflent le bruit qu’elles font. Certains médicaments changent le monde, et le destin des patients. Deux leaders du marché imposent leur marque : le danois Novo Nordisk et l’américain Eli Lilly. Tous deux se sont envolés vers le rêve de guérison, le chemin qui les en sépare est encore long. Ces produits commencent à peine à arriver en France, 10 000 patients bénéficient pour l’instant d’un accès précoce au Wegovy, développé par Novo Nordisk. Médicament autorisé en 2021 aux Etats-Unis et en 2022 en Europe, il est très prisé des stars comme de la présentatrice Oprah Winfrey ou le chanteur Robbie Williams. Remèdes magiques ? En tout cas, le magazine Science en a fait l’éloge, parlant de « découverte de l’année 2023 ». L’ascension est telle que Lars Fruergaard Jorgensen, patron de Novo Nordisk, a été élu homme de l’année par le Financial Times. Pour la première fois, des molécules amaigrissantes fonctionnent, au prix d’effets secondaires qui paraissent pour l’instant acceptables. A raison d’une injection par semaine, Wegovy permet de perdre en moyenne 15 % de son poids. Développé par Eli Lilly, le traitement intitulé Mounjaro va plus loin : les patients fondent en moyenne de 20 %. Ces derniers mois, la firme américaine travaille sur un produit aux effets accrus : 30 % de kilos en moins. Les patients disent avoir restauré une relation saine avec la nourriture. « Avant de commencer les injections, j’avais tout le temps envie de manger. Ce n’était pas de ma faute, c’était comme ça. J’avais beau essayer de me raisonner, de me fixer des objectifs, j’échouais. Ma vie, c’était cette succession de petits drames intimes : je me sentais nul 25 fois par jour », raconte Lionel. Ce Marseillais a commencé les injections de Wegovy en septembre dernier. Constatant une perte de 2 kilos par mois, ce résultat est une source de libération pour ce bon vivant : « C’est la fin de l’anarchie, je ressemble enfin à tous les gens qui mangent normalement ».
Toutefois, les injections ne se suffisent pas à elles-mêmes. Le gras est essentiel, et le fait d’en perdre nécessite une activité sportive en parallèle, « pour préserver sa capacité à dépenser des calories », insiste le Pr Sébastien Czernichow, chef du service de nutrition de l’hôpital européen Georges-Pompidou (Paris). Et puis, bien sûr, l’obésité entraîne avec elle une série de maladies cardiovasculaires, nombre de cancers, diabète… En novembre 2023, Novo Nordisk a publié une étude montrant que son Wegovy réduisait de 20 % le risque de récidive d’infarctus ou d’AVC. Mieux encore, le traitement pourrait même avoir raison de certaines addictions : tabac, alcool, et même jeux à gratter ! Cet eldorado pharmaceutique reluit, mais ses zones d’ombre sont denses : manque de recul sur le maintien de l’efficacité au-delà de deux ou trois ans et la faible durée des études disponibles à l’heure actuelle. De plus, il est important de préciser que les patients ne maigrissent pas indéfiniment : ils atteignent un plateau. L’obésité étant une maladie chronique, elle revient au galop dès l’arrêt des injections, selon une étude prouvant que les kilos s’installent à nouveau. Enfin, les effets indésirables sont majoritairement bénins : nausées, diarrhées, constipations, chute de cheveux. Quoique rares, de bien plus graves existent : des inflammations du pancréas et des occlusions intestinales ont été constatées. En 2024, une personne sur huit est obèse. Prêts pour les piqûres ?