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    « C’est inac­cep­table que l’on se satis­fasse de ce système carcéral »

    Les affaires de violences car­cé­rales lui sont fami­lières, mais défendre un sur­veillant péni­ten­tiaire était une première. Me Brochen, avocat d’un des six gardiens de Lille-​Sequedin condamné à 6 mois de prison avec sursis pour avoir molesté un détenu, pose un regard sur un « vase clos » en perdition. 

    Maitre Brochen, avocat pénaliste au barreau de Lille, a défendu plusieurs détenus victimes de violences en détention. © Gildas Brochen

    Marie Chéreau : « Le détenu attend de l’humanité de la part du sur­veillant et le sur­veillant doit violer les règles pour être humain », décrit le socio­logue, Farhad Khosrokhavar. Qu’en pensez-​vous ? La prison est-​elle un lieu clos avec ses propres règles ?

    Me Brochen : Dans les prisons, tout fonc­tionne en vase clos. Le détenu n’a aucune autonomie. Il dépend du sur­veillant. L’enfermement dans les condi­tions actuelles, avec la sur­po­pu­la­tion, ne peut qu’engendrer des situa­tions conflic­tuelles. Parfois, ils sont en cellule de quatre avec un cinquième matelas par terre, dans moins de neuf mètres carrés, où ils ne sortent pas durant 22 heures chaque jour. La prison déshu­ma­nise les détenus, mais aussi les sur­veillants. L’affaire des six sur­veillants de Lille-​Sequedin en est l’exemple même. Ce soir-​là, ils ont perdu leur humanité. Le pire, c’est qu’ils n’ont pas vu le mal, l’administration péni­ten­tiaire non plus. À partir du moment où le détenu n’a pas obéi, cela leur parais­sait « normal » de le traîner nu, en le tirant les bras en arrière par les menottes jusqu’au quartier dis­ci­pli­naire. C’était la première fois que je défendais un sur­veillant péni­ten­tiaire, mais je considère que chacun a le droit d’être défendu. Ce qui compte, c’est la manière dont on le défend. Ces violences sont inad­mis­sibles et mon client l’a reconnu. Je n’aurais jamais pu plaider que ces violences étaient légitimes et demander une relaxe.

    M. C : Avec votre vision d’avocat, ayant défendu des détenus victimes de violences, mais aussi un sur­veillant, quel état des lieux faites-​vous des violences car­cé­rales au sein des prisons du Nord ? 

    Me. B : J’ai tendance à penser que l’ad­mi­nis­tra­tion péni­ten­tiaire dans son ensemble a souvent du mal à recon­naître quand elle a des dif­fi­cul­tés. Je prends toujours l’exemple des décès qui peuvent survenir en détention. Elle va très souvent opposer un silence assez scan­da­leux aux membres de la famille. Et même quand il n’y a pas de man­que­ment, elle ne com­mu­nique pas et cela donne toujours l’im­pres­sion qu’elle a quelque chose à cacher. C’est la même chose concer­nant les violences. Il y a des maisons d’arrêt où, à mon sens, la violence est plus sys­té­mique que d’autres. Souvent quand il y a des incidents invoqués par le détenu, cela se trans­forme en incidents dont ils seraient à l’origine. J’ai eu des clients qui ont subi des fouilles après des parloirs qui se sont mal passées. Ils ont été molestés par des gardiens, mais après ce sont eux qui ont été présentés au prétoire (la com­mis­sion dis­ci­pli­naire ndlr). La dif­fi­culté est que pour déposer plainte, il faut qu’ils aient accès à un médecin et que ce dernier accepte de rédiger un cer­ti­fi­cat médical. Et qu’ils puissent après nous fournir les documents afin qu’on puisse en tant qu’avocat écrire une lettre au procureur de la République. Mais parfois, les courriers disparaissent…

    « Souvent quand il y a des incidents invoqués par le détenu, cela se trans­forme en incidents dont ils seraient à l’origine. »

    M.C : Dans les Hauts-​de-​France, les maisons d’arrêt dépassent toutes les 100 % de taux d’occupation. À cela s’ajoute un sous-​effectif en aug­men­ta­tion du côté des sur­veillants péni­ten­tiaires. Les syndicats parlent d’un manque de 220 agents. Et cela semble être pareil partout en France. L’État a notamment été condamné au terme d’un arrêt his­to­rique par Cour euro­péenne des droits de l’homme en 2020, qui lui demandait de réformer son système carcéral. Quel constat, en tant qu’avocat, établissez-​vous de l’état de santé du système péni­ten­tiaire français ?

    Me. B : Aujourd’hui, ce qui pose problème est que la détention pro­vi­soire est devenue une règle quasi-​absolue. Malgré ce qui a pu à se passer durant le Covid-​19 avec de nom­breuses remises en liberté et malgré les textes de pro­cé­dures pénales qui prônent le contrôle judi­ciaire… La sur­po­pu­la­tion ne nous dérange pas en tant que telle dans la conduite des dossiers. Mais elle est scan­da­leuse, car elle rend inhu­maines les condi­tions de détention et nos relations avec nos clients qui ne com­prennent pas, qui veuillent sortir au plus vite… Puis c’est inac­cep­table que l’on se satis­fasse de ce système carcéral parce que comme d’habitude, on s’en satisfait. On essaie de gérer sans prendre en compte la mesure du problème, soit d’une part réduire le nombre de détenus, et d’autre part améliorer leurs condi­tions de détention. L’exemple même est la réforme de Dupont-​Moretti sur les réduc­tions de peine. Avant quand vous étiez condamné, une fois que la peine était défi­ni­tive, on vous informait des réduc­tions de peine quasi auto­ma­tique aux­quelles vous aviez droit en vous précisant que si vous ne vous com­por­tiez pas bien, on pourrait vous les retirer. Maintenant, ils ont inversé la situation. Vous êtes condamné défi­ni­ti­ve­ment, on vous donne une fin de peine et on vous dit que si vous vous comportez bien, le juge d’ap­pli­ca­tion des peines pourra la réduire jusqu’à six mois par an. Sauf que les pos­si­bi­li­tés de réin­ser­tion ne sont pas les mêmes à Sequedin, à Melun ou à Arras. C’est un cercle infernal, quand il y a de la sur­po­pu­la­tion, l’accès est plus limité aux for­ma­tions, au travail, mais aussi aux activités sportives, culturelles…

    M.C : Fort d’un budget en hausse de près de 30 % sur cinq ans, le ministère de la Justice annonce la construc­tion de nouveaux éta­blis­se­ments. Objectif : 80 000 places en 2027 soit 15 000 de plus qu’aujourd’hui. Au terme du projet de loi de finances 2023, le gou­ver­ne­ment annonce financer 809 emplois de sur­veillants, dont la moitié sera affectée à 2 000 nouvelles places de prison. Y croyez-​vous ? 

    Me. B : C’est vrai, le budget de la justice n’a jamais été aussi important. Sauf que lorsqu’on regarde de plus près, c’est beaucoup de projets immo­bi­liers, d’investissements sur la détention, et pas sur l’amélioration de la justice en tant que telle. Il faut recruter des magis­trats, réha­bi­li­ter les prisons… Il y a un gros problème de cohérence. On fait toujours un pas en avant puis un pas en arrière en fonction de faits divers plus ou moins média­tiques qui émeuvent le public. On dit qu’il faut être plus sévère, revenir aux peines plancher… Je ne suis pas sûr que l’augmentation du budget entraîne forcément une amé­lio­ra­tion de la situation. Certes, il faut construire des places de prison, mais aussi fermer des éta­blis­se­ments insa­lubres comme la maison d’arrêt de Douai. En ce qui concerne le recru­te­ment des sur­veillants péni­ten­tiaires, cela pose aussi le problème de la formation, comme on l’a vu avec l’affaire de ceux de Lille-​Sequedin. Les agents ne sont pas formés… Même après une dizaine d’années d’expérience, certains d’entre eux igno­raient s’ils devaient porter ou non les pieds d’un détenu qui ne voulait pas se laisser faire ou qui faisait le poids mort… 

    « Il y a un gros problème de cohérence. On fait toujours un pas en avant puis un pas en arrière en fonction de faits divers plus ou moins média­tiques qui émeuvent le public. »

    M.C : Pour en revenir aux violences des sur­veillants envers les détenus, le tabou commence à se lever. De plus en plus d’affaires sont déférées devant la justice, pourquoi ?

    Me. B : Le parquet est plus attentif. Et aussi parce qu’il y a des preuves, telles les images de vidéo­sur­veillance. Cela a été le cas dans l’affaire des sur­veillants de Lille-​Sequedin. En 2016, lorsque j’ai défendu un détenu, toujours dans cette même maison d’arrêt, qui avait été étranglé par un gardien, la scène avait été filmée. Mon client n’a pu produire un cer­ti­fi­cat médical que plusieurs jours après les faits, car il n’avait pas eu accès à un médecin tout de suite. Le sur­veillant a été condamné à deux mois de prison avec sursis. Il faut donc un ali­gne­ment de planètes assez impor­tantes pour que l’on puisse démontrer ce qui a pu se passer. Les co-​détenus n’osent pas témoigner, car ils ont peur des repré­sailles. Et cela peut conduire au pire… En 2016 toujours, un sur­veillant de Lille-​Sequedin encore, a été condamné à cinq mois d’emprisonnement avec sursis pour non-​assistance à personne en danger de mort. Mon client est décédé en détention d’une overdose de méthadone. Au petit matin, il avait fait plusieurs crises d’épilepsie assez graves, avec des sai­gne­ments. Son co-​détenu avait appelé le sur­veillant, qui l’a seulement regardé par l’oeilleton de la cellule. Et il a décidé de ne pas appeler le SAMU. À 9 heures, mon client a été examiné par les infir­mières de l’unité de soins de la prison, mais il était confus. Comme l’a relevé l’expert, ces évè­ne­ments trau­ma­tiques d’épilepsie entraînent des amnésies. À l’infirmerie, on lui a redonné son dosage habituel de méthadone, mais visi­ble­ment il en avait déjà pris… Les consignes qui ont été trans­mises via les sur­veillants à l’infirmerie de jour ont fata­le­ment provoqué sa mort. 

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