En marge de sa retraite, Virginie consacre ses nuits à tendre la main aux personnes exilées de Calais. Pour cette bénévole d’Utopia 56, agir, c’est bien plus que secourir : c’est avant tout un acte de résistance pour contrer les « défaillances institutionnelles ». Malgré l’incompréhension de ses proches, elle poursuit inlassablement son engagement, portée par les sourires et la reconnaissance de ceux qu’elle aide à se relever.
On tente de faire avancer les choses à notre échelle
À 54 ans, Virginie, une enseignante retraitée originaire de Calais, dédie une partie de son temps à soutenir les personnes exilées sur le littoral, en tant que bénévole chez Utopia 56. Depuis un an et demi, cette Calaisienne a trouvé dans l’association un moyen d’agir sur le terrain, consacrant trois nuits et une journée par semaine à la cause des exilés. « Je n’ai pas de date de départ. Tant que je peux le faire, je le fais », confie-t-elle. Ce qui la motive ? La possibilité de pointer du doigt « les failles et les manquements de l’État », en tentant de faire « avancer les choses » à son échelle. « Le jour où je penserais que mon engagement ne sert à rien, je quitterai Utopia », s’exclame-t-elle.
Au sein de l’organisation, Virginie se trouve en première ligne des urgences humanitaires. La nuit, elle et d’autres bénévoles « gèrent l’hébergement d’urgence pour celles et ceux qui viennent d’arriver ». Le jour, ils réorientent les mineurs vers France Terre d’Asile et les familles vers Refugee Women’s Center. À ses débuts, elle se souvient d’un cadre bien différent, où l’aide humanitaire, aujourd’hui légale, était encore passible de sanctions. « La plus grosse amélioration, c’est que désormais c’est légal de les aider. Avant, on risquait la garde à vue, des amendes voire la prison », se désole-t-elle.
On a intérêt à avoir une vie personnelle solide
Ce qui frappe chez la Calaisienne, c’est sa capacité à maintenir une distance nécessaire avec les situations parfois difficiles qu’elle rencontre. « Je réussis à couper avec ma vie associative car j’ai ma maison, ma famille. Sur le long terme, on a intérêt à avoir une vie personnelle assez solide sinon ça ne pourrait pas s’équilibrer ». Pour elle, cet équilibre est essentiel pour s’investir pleinement sans s’épuiser.
« Ce que nous vivons à Utopia n’est pas normal. Ce n’est pas normal », insiste Virginie, évoquant les conditions difficiles des personnes exilées à Calais. « Souvent, les bénévoles qui partent en vacances deux ou trois semaines reviennent en disant “j’avais oublié ce que c’était la vie normale » ». Une réflexion qui démontre que la situation des exilés dénature la perception du quotidien des bénévoles. Ainsi, sans le soutien indéfectible entre les bénévoles et les salariés de l’association, Virginie ne continuerait pas. « Il n’y a pas de jugement entre nous, on peut parler sans retenue », confie-t-elle à Contrepoint, soulignant un certain soulagement.
Mes amis ne comprennent pas toujours ce que je fais
Peu de bénévoles trouvent du soutien auprès de leurs proches, ces derniers ne saisissant pas réellement les enjeux à la frontière maritime. « Mes amis ne comprennent pas toujours ce que je fais », explique Virginie, peinée. « On me demande souvent : “Tu héberges des gens, des inconnus, mais tu n’as pas peur ?» ou encore, “La nuit, avec Utopia, vous rencontrez de grands groupes d’inconnus, ça ne te fait pas peur ?» ». Leurs remarques révèlent une méconnaissance du cadre dans lequel ils évoluent. L’ancienne professeure précise qu’« il y a des règles strictes à respecter lors des interventions nocturnes. Tout se fait dans des espaces éclairés et nous ne sommes jamais seuls ». Elle ajoute : « Les personnes que nous rencontrons savent que nous sommes là pour les aider. Ils n’ont donc aucun intérêt à nous faire du mal ou à être hostiles ».
Le moteur de motivation le plus important pour la bénévole réside ainsi dans la gratitude exprimée par les familles exilées pour leur aide. « C’est un véritable accomplissement quand on met une famille à l’abri et qu’on reçoit un message le lendemain des parents nous remerciant d’avoir sauvé la vie de leurs enfants. C’est réellement ce qui me booste », conclut-elle, laissant apparaître un large sourire.