Electrifier le transport maritime entre Calais et Douvres à l’horizon 2030, c’est le pari que s’est lancée la Société d’exploitation des ports du Détroit, fin janvier. L’investissement est de taille : 6,7 millions d’euros. Jean-François Mille, chef de ce projet titanesque, en précise les enjeux.
« Tous les vents sont favorables à celui qui sait où il va, mais encore faut-il choisir son port. » Sénèque ne croit pas si bien dire. Le port est tout choisi : Calais et ses 25 000 liaisons maritimes jusqu’à Douvres, en Angleterre. Chaque année, trois compagnies ferroviaires (DFDS, P&O, Irish Ferries) sont accompagnées par le vent de la Côte d’opale à destination de cette ville côtière, située à 1h30 de Calais. Comme celui de la compagnie anglaise P&O, qui a déjà fait la moitié du chemin en dotant deux de ses trois ferrys d’un système hybride diesel-électrique. Une prouesse technique au vu de ses 800 batteries. Le résultat est encourageant : la baisse de consommation de carburant fossile atteint 40 %. L’étape finale ? L’électrification des ferrys dès 2030, une première mondiale. La décarbonation a un coût : 10 millions d’euros, dont 30 % est pris en charge par le Réseau de transport d’électricité (RTE), soit 6,7 millions d’euros à la charge du port. « Un projet de taille, très complexe au vu de la technicité requise », insiste Jean-François Mille, responsable de projet dans la transition énergétique au port de Boulogne-Calais.
Enjeu environnemental et technique
Le projet a d’autant plus de sens sachant que le transport maritime est responsable de 4 % des émissions mondiales de CO2. Au regard de la déclaration de Clydebank, signée par la France en 2021, les corridors maritimes verts devraient permettre, à l’horizon 2035, de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre. La liaison maritime Calais-Douvres représente à elle seule 400 000 tonnes de CO₂ par an dans l’atmosphère. Une électrification ferait économiser… 400 000 tonnes de CO₂. C’est alors qu’un contrat voit le jour entre la société d’exploitation des ports du Détroit et RTE, début janvier 2025. Celui-ci prévoit l’acheminement d’une puissance électrique de 100 mégawattheures. Le projet est en réalité collaboratif puisqu’il concerne aussi les ports de Dunkerque et de Douvres. « Dans un premier temps, explique Jean-François Mille, on doit travailler sur la partie terrestre pour comprendre ce que ces deux ports peuvent apporter à celui de Calais, et inversement. Dunkerque dispose déjà de l’électricité à l’intérieur du port, quand celui de Douvres présente plus de complications en raison de son vieux système électrique. L’enjeu technique est double : électrifier les quais en fonction de leur structure et offrir une solution ultra-performante de recharge afin que les batteries des ferrys puissent être pleines en quarante-cinq minutes, c’est-à-dire le temps d’une escale », s’enthousiasme Jean-François Mille, prêt à relever le défi.
Les prochaines étapes
Tandis que les compagnies suivent le mouvement, comme la société danoise DFDS, qui a récemment annoncé l’électrification de deux de ses six nouveaux ferries dès 2030 pour un coût d’un milliard d’euros, le raccordement électrique reste à faire. Il est question d’un câble de 90 000 volts, qui partira du poste des Garennes à Calais. La région dispose d’un sérieux atout : la centrale nucléaire de Gravelines. Laquelle contribuera simultanément à la recharge des batteries de trois ferrys, soit l’équivalent de 20 % de sa production nucléaire au moment des recharges. L’étape deux, espérée pour 2026, s’intéressera à la recharge des navires, dont les besoins énergétiques seront de l’ordre de 15 vvà 20 mégawattheures pour chaque escale. Une consommation bien plus exigeante que le réseau haute-tension actuel qui tourne aujourd’hui à 5 mégawattheure. Coût de l’opération : approximativement 35 millions d’euros. « C’est titanesque ! Surtout quand on sait que ce sont des ferrys qui peuvent prendre jusqu’à 150 poids lourds pour une traversée », signale le chef de projet. Au loin, le Pioneer hybride a lâché les amarres, il flotte silencieusement sur l’eau.